La mobilité interne : une mesure phare de la loi relative à la sécurisation de l’emploi

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Le 24 avril 2013, l’Assemblée Nationale a définitivement adopté le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi. Ce projet prévoit un article très novateur sur la mobilité interne des salariés, qui modifie la marge de manœuvre de l’employeur, la liberté des salariés concernés, l’articulation avec la GPEC, la motivation de l’éventuelle rupture du contrat de travail

La négociation d’un accord collectif

« L’employeur peut engager une négociation portant sur les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise dans le cadre de mesures collectives d’organisation courantes sans projet de réduction d’effectifs »

L’article 10 du projet de loi (art 15 de l’ANI du 11 janvier 2013) dispose qu’il sera possible de négocier un accord avec les partenaires sociaux permettant d’imposer aux salariés une mobilité interne à l’entreprise sans que ces derniers ne puissent opposer leur contrat de travail.
Ces projets doivent être mis en place dans le cadre d’une réorganisation de l’entreprise, sans réduction d’effectif (version modifiée par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée le 28 mars 2013, la version antérieure prévoyait : « sans projet de licenciement »). 
Les députés ont choisi de ne pas imposer la négociation : cette négociation sera une simple possibilité pour les entreprises concernées par des restructurations entraînant des mobilités. Si l’entreprise est soumise à l’obligation triennale de négocier sur la GPEC, c’est dans ce cadre qu’elle négociera sur la mobilité interne.

Une disposition qui bouleverse le principe de faveur !

Le projet de loi prévoit que, même si le salarié a un contrat de travail qui mentionne explicitement son lieu de travail, l’accord permettra de modifier ce lieu sans tenir compte d’une éventuelle clause contraire, ou plus précisément, pour reprendre l’article 10 du projet de loi, « les clauses du contrat de travail contraires à l’accord, [seront] suspendues ».

En droit du travail, d’après le principe de faveur, un accord collectif peut voir ses dispositions immédiatement applicable sauf si elles sont moins favorables par rapport à celles du contrat de travail. Or ici les accords qui seront négociés s’imposeront aux contrats de travail existants.
Il s’agit clairement d’un grand bond en avant en ce qui concerne la flexibilité : le lieu de travail n’est plus un obstacle infranchissable dans le cadre de projets de réorganisation.

Ce que l’employeur devra prévoir… et ce qu’il ne pourra pas faire

L’accord collectif devra également prévoir :
- les mesures d’accompagnement à la mobilité, en particulier en terme de formation et d’aides à la mobilité géographique ;
- les limites géographiques de cette mobilité
- les mesures permettant de concilier vie professionnelle et vie personnelle

Enfin, le projet de loi indique clairement que le niveau de rémunération et de classification professionnelle ne peuvent être réévalués à la baisse.

Le champ de la mobilité interne

Il convient de préciser que cette mobilité ne peut se faire que dans le cadre de l’entreprise et pas au niveau du groupe, et ce, quand bien même la négociation relative à la GPEC se ferait au niveau du groupe. En effet, comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation en matière de clause de mobilité, et comme elle l’a rappelé très récemment (Cass. Soc. 13 mars 2013), la mobilité dans le groupe implique des enjeux bien différents. Dans le groupe, le salarié ne change pas uniquement de lieu de travail, il change également d’employeur, or, le salarié reste libre de choisir ses collaborateurs, et ne peut s’engager à l’avance à un tel changement. 

Quels sont les effets du refus de mobilité du salarié ?

Tout d’abord, les limites imposées à la mobilité devront être posées en tenant compte de la vie privée et familiale du salarié.
En cas de refus du salarié alors que le projet de mobilité ne porte atteinte à aucune liberté fondamentale de ce dernier, le projet de loi a finalement opté pour un licenciement économique individuel.
Le licenciement est individuel ; cela implique que dès lors que 10 salariés refusent cette mobilité, l’employeur n’aura pas à mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi.
Le licenciement est économique, ou du moins, il prend les effets d’un licenciement économique. Le salarié aura donc droit à l’indemnité de rupture propre aux licenciements économiques et un droit au reclassement. Le reclassement sera prévu par l’accord de mobilité, il ne s’agit pas du reclassement normalement prévu cas de licenciement économique (obligation très large), et il pourra donc être beaucoup plus adapté et spécifique.
L’accord du salarié devra être recueilli selon la procédure de modification du contrat pour motif économique – l’employeur informe chaque salarié de sa proposition, par lettre recommandée avec accusé de réception, en précisant au salarié qu’il dispose d’un délai d’un mois pour répondre et faire connaître, éventuellement, son refus. Passé ce délai, il sera réputé avoir accepté la modification et ne pourra plus exprimer son refus. L’employeur ne pourra pas déclencher la procédure de licenciement avant le délai d’un mois, délai de réflexion pour le salarié, même si ce dernier a déjà informé de son refus de modification du contrat.

Une rupture du contrat juridiquement très fragile

La qualification de licenciement pour motif économique n’a pas été modifiée par le législateur, or elle ne semble pas appropriée puisque par hypothèse, la mobilité géographique et professionnelle interne ne peut être mise en place qu’en dehors de tout contexte de licenciement économique. Donc l’employeur n’aura pas à justifier de difficultés économiques.

Selon le Professeur Paul-Henri Antonmattei, cet article n’est pas applicable en l’état dès lors que le licenciement est qualifié de licenciement économique. Et si le texte de loi n’est pas modifié, il ne conseillera à aucune entreprise de recourir à ce type d’accord très insécurisant. Le point de départ du licenciement est en réalité une mesure de réorganisation courante de l’entreprise, il n’y a donc pas de motif de licenciement. Dans ce contexte, la rédaction de la lettre de licenciement est bien délicate…
Lors de son intervention à un séminaire d’actualité organisé par ELEGIA, il a proposé une solution : le texte de loi doit prévoir un licenciement individuel, consécutif au refus de modification du contrat de travail du salarié en application d’un accord collectif sur la mobilité interne.
Cela constituerait donc d’un motif particulier de licenciement, motif qui existait déjà à l’article 30 II de la loi Aubry de 2000 et qui a été validé par la Cour de cassation dans quatre arrêts du 15 mars 2006.

A suivre…

Charlotte Sicsic et Pierre Monclos
Département Droit social d’ELEGIA

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