Quels changements en droit commercial après "Sapin II" ?

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L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016 : JO, 10 déc.

Les relations et négociations commerciales sont modifiées par les dispositions de la loi "Sapin II", au sein desquelles on retrouve la possibilité de conclure des conventions pluriannuelles, l'allongement de certains délais de paiement, la formalisation d’une pratique commerciale abusive, de nouvelles mentions obligatoires pour les CGV ou encore la limitation de la vente au déballage...

L'extrême diversité des mesures de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, témoigne de la difficulté avec laquelle le texte, pourtant engagé par le Gouvernement le 30 mars 2016 selon une procédure accélérée, a finalement été adopté le 9 décembre 2016. Plusieurs articles ont été délégués à la commission des affaires économiques et à la commission des finances. Difficile de rendre la "République exemplaire", objectif affiché de la loi, sans faire de ce texte un véritable inventaire à la prévert au sein duquel on retrouve des mesures ayant trait notamment à la lutte contre la corruption, à la protection des lanceurs d'alerte, au renforcement de la régulation financière, à l'amélioration de la situation financière des entreprises et à leur financement ou encore à la modernisation de la vie économique (L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016 : JO, 10 déc.).

Remarque : le projet de loi initial comportait  57 articles. La loi adoptée par le Parlement et soumise à l'examen du Conseil constitutionnel en comptait finalement 169. A noter que le Conseil constitutionnel a examiné de nombreuses dispositions dont il a jugé qu'elles avaient été adoptées suivant une procédure irrégulière. Conformément à sa jurisprudence, il a ainsi déclaré contraires à la Constitution différents articles comme "cavaliers législatifs", au motif qu'ils ne présentaient pas de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi initial (Déc. Cons. constit., 8 déc. 2016, n° 2016-741 DC).

Nous ne verrons ici que les principales dispositions qui tendent au renforcement de la situation économique des entreprises par la favorisation de leur développement et la création d'activités. Elles sont toutes en vigueur depuis le 11 décembre 2016.

La conclusion de conventions écrites pluriannuelles devient possible (L. art. 107)

La convention unique conclue entre un fournisseur et un distributeur doit être signée chaque année au plus tard le 1er mars. L'article 107 de la loi permet désormais le recours à des conventions pluriannuelles (biennales ou triennales), conclues au plus tard pour cette même date, dans le cadre des contrats entre fournisseurs et distributeurs ou fournisseurs et grossistes. Lorsqu'elle est conclue pour une durée de 2 ou de 3 ans, la convention doit alors fixer les modalités selon lesquelles le prix convenu est révisé. Ces modalités peuvent prévoir la prise en compte d'un ou de plusieurs indices publics reflétant l'évolution du prix des facteurs de production (C. com., art. L. 441-7 et L. 441-7-1).

Ces dispositions s’appliquent aux conventions conclues à compter du 1er janvier 2017.

Remarque : la loi mise ici sur des engagements de volumes et soutient les démarches de négociation pluri-annuelles  afin de donner des perspectives de moyen terme aux acteurs de la filière alimentaire. Toutefois, la durée annuelle de la convention reste une possibilité au libre choix des parties et les modalités de révision de prix dans la convention doivent être prévues. A noter que dans la version adoptée en première lecture à l'Assemblée, les députés avaient voulu avancer la date de conclusion du 1er mars au 1er février. Partagés sur cette modification, les sénateurs avaient cherché un accord en prévoyant deux dates butoirs différentes : l'une au 1er février pour le secteur agro-alimentaire et l'autre au 1er mars pour les autres activités économiques (amendements n° 125 et n° 276). Un compromis finalement rejeté en séance publique.

Des délais de paiement plus longs pour les biens achetés en franchise de TVA et revendus en l’état (L. art. 123)

La loi allonge les délais de paiement pour les petites et moyennes entreprises de négoce tournée vers la grande exportation et porte a 90 jours, à compter de la date d'émission de la facture, le délai convenu entre les parties pour le paiement des achats de biens effectués en franchise de TVA, en application de l'article 275 du code général des impôts, destinés à faire l'objet d'une livraison en l'état hors de l'Union européenne (C. com., art. L. 443-1).

Remarque : cette mesure n'est pas applicable aux achats effectués par les grandes entreprises. Le législateur entend ainsi renforcer la compétitivité des PME implantés en France qui font face à la concurrence de négociants implantés à l’étranger et qui bénéficient de délais plus longs pour le règlement de leurs fournisseurs. En l’absence de définition précise des petites entreprises, on présumera qu’il s’agit de la définition classique des PME qui emploient moins de 250 salariés et présentent soit un chiffre d’affaires inférieur à 50 M€, soit un total de bilan inférieur à 43 M€.

Des amendes administratives et civiles plus lourdes et de nouvelles pratiques restrictives de concurrence (art. 101, 107 et 123)

La loi crée de nouvelles pénalités ou aggrave le montant des amendes administratives prononcées par l'autorité compétente en cas d'infraction en matière de délais de paiement, en cas de pratique restrictive de concurrence et de manquement au droit de la consommation.

  • concernant la convention pluriannuelle, l'article L. 442-6 du code de commerce est modifié afin de rajouter à la liste des faits qui engagent la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, d'imposer une clause de révision du prix ou une clause de renégociation du prix, par référence à un ou plusieurs indices publics sans rapport direct avec les produits ou les prestations de services qui sont l'objet de la convention (C. com., art. L. 442-6, I, 7°).
  • concernant le délai de paiement convenu dans les activités d'export hors UE, celui-ci ne doit pas constituer un abus manifeste à l'égard du créancier. Si les biens ne font pas l'objet d'une livraison en l'état hors de l'UE, ce sont les pénalités de retard de l'article L. 441-6, I, 12e alinéa qui s'appliquent (C. com., art. L. 441-6, I);
  • l'amende administrative pour les personnes morales, prévue au VI de l'article L. 441-6 du code de commerce est désormais fixé à 2 millions d'euros au lieu de 375 000 euros auparavant. Il s'agit de l'amende prononcée pour les faits suivants : non-respect des délais de paiement ; non-indication de certaines mentions dans les conditions de règlement (art. L. 441-6, I, 12e al., 1re phrase) ; fixation d'un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes ; non-respect des modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce (C. com., art. L. 441-6, VI et L. 443-1) ;

Remarque : le fait d'avoir ainsi fortement augmenté cette amende permet à l'administration de pouvoir prononcer et faire exécuter plusieurs amendes contre les entreprises auteurs de multiples manquements (auparavant, ces amendes ne pouvaient être exécutées que dans la limite du plafond par amende, soit 375 000 euros).

  • l'amende civile encourue pour pratiques restrictives de concurrence (rupture brutale des relations commerciales établies, introduction de clauses abusives dans un contrat, déséquilibre significatif dans les relations contractuelles) peut désormais être portée à un montant de 5 millions d'euros (2 millions auparavant).

Lorsque, à l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives sont prononcées à l'encontre d'un même auteur pour des manquements en concours, les montants des amendes sont désormais cumulatifs, sans que s’applique la limite du montant le plus élevé (C. com., art. L. 465-2, VII).

La publication des décisions de sanction prononcées par l’Autorité administrative devient systématique pour les pratiques restrictives et notamment en cas de manquements en matière de délais de paiement (C. com., art. L. 465-2, V).

Enfin, engage désormais la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, le fait pour une centrale internationale regroupant des distributeurs de se voir rémunérer des services non effectivement rendus C. com., art. L. 442-6, I, 1°).

Le périmètre de la limitation des ventes au déballage est étendu (L., art. 99)

La loi du 9 décembre 2016 fixe une durée maximale pour la vente au déballage des professionnels dans un même arrondissement et prévoit l'information de l'autorité administrative compétente en matière de concurrence, de consommation et de répression des fraudes sur les ventes au déballage (C. com., art. L. 310-2).

Remarque : concrètement, en élargissant le périmètre autorisé, il s'agit de combattre la concurrence déloyale en interdisant la vente au déballage de la part de commerçants "itinérants permanents" qui changent tous les 2 mois de lieu d’implantation en restant dans un périmètre restreint.

Les CGV pour les produits alimentaires incluant des produits agricoles doivent comporter de nouvelles mentions (L. art. 100)

La loi instaure l'obligation de mentionner, dans les conditions générales de vente concernant des produits alimentaires incluant des produits agricoles, le prix prévisionnel proposé par le vendeur au producteur agricole. Plus précisément, pour les contrats d'une durée inférieure a un an entre fournisseur et distributeur, les CGV des produits agricoles contractualisés doivent faire mention du prix payé au producteur et, dans les contrats sous marque de distributeur, des critères et modalités de détermination du prix (C. com., art. L. 441-6 et L. 441-10).

Les critères et modalités de détermination du prix prévisionnel peuvent faire référence à un ou plusieurs indices publics de coût de production en agriculture et à un ou plusieurs indices publics des prix de vente aux consommateurs des produits alimentaires. Ces indices doivent être fixés de bonne foi entre les parties et peuvent être spécifiques au contrat ou établis par accord interprofessionnel.

Une nouvelle pratique commerciale abusive est créée (L. art. 101)

La loi ajoute à la liste des pratiques commerciales abusives le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des pénalités pour retard de livraison, lorsque ce retard est dû à un cas de force majeure (C. com., art. L. 442-6, I, 13°).

La modification des règles relatives à la cession du fonds de commerce et à la solidarité du loueur

  • L'allègement de certaines obligations comptables

Depuis le 11 décembre 2016, au jour de la cession d'un fonds de commerce, le vendeur et l'acquéreur doivent viser un document présentant les chiffres d'affaires mensuels réalisés entre la clôture du dernier exercice comptable et le mois précédant celui de la vente.

Jusqu'à présent, ce sont tous les livres de comptabilité qui étaient tenus par le vendeur durant les trois exercices comptables précédant celui de la vente, ainsi qu'un document présentant les chiffres d'affaires mensuels réalisés entre la clôture du dernier exercice et le mois précédant celui de la vente qui étaient visés.

N'est pas modifiée la disposition selon laquelle le vendeur doit mettre à disposition de l'acquéreur, à la demande de ce dernier, pendant une durée de 3 ans à compter de l'entrée en jouissance du fonds, tous les livres de comptabilité qu'il a tenus durant les trois exercices comptables précédant celui de la vente.

Toute clause contraire est réputée non écrite (C. com., art. L. 141-2).

Ces mêmes règles sont applicables en cas d'apport de fonds de commerce à une société.

Remarque : lors des débats parlementaires, beaucoup d'autres modifications avaient été envisagées. Elles reprenaient notamment les mesures de simplification des règles de cession des fonds de commerce adoptées par la commission des lois dans le cadre de la proposition de loi de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés. On peut par exemple citer la suppression des mentions légales obligatoires devant être portées sur l’acte de cession d’un fonds de commerce ou la suppression de la condition d’exploitation préalable de 2 ans du fonds de commerce avant sa mise en location-gérance.

  • La fin de la solidarité du loueur

Désormais, jusqu'à la publication du contrat de location-gérance, le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de l'exploitation du fonds (C. com., art. L.144-7)..

Rappelons en effet que, sauf dans deux hypothèses (lorsque le fonds a été mis en gérance par un mandataire de justice - C. com., art. L. 144-8 - et lorsque la location-gérance est conclue dans le cadre d'une procédure collective - C. com., art. L. 642-14), la loi rend le loueur du fonds solidairement responsable des dettes contractées par le gérant à l'occasion de l'exploitation du fonds. Jusqu'à présent, cette solidarité était limitée dans le temps, "jusqu'à la publication du contrat de gérance et pendant un délai de 6 mois à compter de cette publication".

Ces mesures sont applicables pour les contrats de location-gérance publiés depuis le 11 décembre 2016.

Remarque : la mesure est justifiée notamment par une étude d'impact aux termes de laquelle, "la responsabilité solidaire du loueur ne se justifie pas, le locataire-gérant exploitant le fonds à ses risques et périls (C. com., art. article L. 144-1), et les créanciers du locataire-gérant bénéficient du recours en responsabilité civile de droit commun contre le loueur si les conditions sont réunies. Ces règles sont dissuasives pour l’exploitant souhaitant mettre son fonds en location-gérance, notamment dans la perspective d’une transmission de l’entreprise".

 

Stefano Danna, Dictionnaire Permanent Droit des affaires.

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