Derrière les innovations d’aujourd’hui et de demain : les « risques professionnels 2.0 »

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Imprimantes 3D, robots collaboratifs, exosquelettes… Le monde du travail du XXIe siècle déborde d’innovations pour aider les salariés à mieux travailler. Ces inventions dessinent un environnement de travail nécessitant moins de force physique et offrant plus d’assistance à la réalisation des tâches. Mais derrière ces progrès, n’y aurait-il pas également de nouveaux risques professionnels ?

 

De nouveaux dispositifs prometteurs

Le monde du travail est en pleine évolution. Le secteur industriel n’est pas en reste avec de nouveaux modes de fabrication dits « fabrication additive » ou « 3D » (construction d’un objet couche par couche avec divers matériaux : métaux, céramiques, sable, etc.), mais aussi des technologies d’assistance physique (comme les exosquelettes ou autres dispositifs d’assistance du dos, des membres supérieurs voire du corps entier dont divers prototypes sont en développement pour assister les manutentions manuelles [i]) ou encore des robots collaboratifs ou « cobots » (robots programmables pour évoluer dans un environnement de travail humain – hors cages – et permettant d’assister les opérateurs en automatisant une partie de leurs tâches).

Si les bénéfices de ces innovations sont souvent promus, on s’intéresse moins aux risques qu’ils peuvent générer. Or, leur utilisation modifie les conditions de réalisation du travail et oblige donc à s’interroger sur l’évolution des risques professionnels. Ces dispositifs peuvent même créer des difficultés inattendues ou être source de risques dont on mesure encore mal la dangerosité. La prévention est de mise et ce, dès le projet de conception autour de l’introduction de ces technologies.

Les « nouveaux risques » de la fabrication additive

Il existe plusieurs technologies de fabrication additive. Elles partagent en commun de grands avantages par rapport aux procédés de fabrication plus traditionnels, parmi lesquels :

  • La capacité de fabriquer des objets sur-mesure, de forme très complexe ou de très petite taille ;
  • La capacité de fabriquer des objets plus légers (on agrège uniquement la matière nécessaire) ;
  • Le raccourcissement des temps de production (pas de montage, de moulage, etc.).

Ce procédé aux multiples applications n’est pas sans risques pour les opérateurs chargés d’utiliser ces imprimantes nouvelle génération. Dès décembre 2013 [ii], l’INRS mettait en garde contre les risques suivants :

  • Chimiques (exposition aux produits de dégradation thermiques des composants utilisés pour la fabrication additive, ou encore aux produits utilisés en complément, par exemple pour le nettoyage des imprimantes) ;
  • D’explosion (pour les procédés qui mettent en œuvre des poudres diverses qui, par mélange avec l’air, donnent des mélanges potentiellement explosifs) ;
  • Des risques liés aux procédés de fabrication – chimiques, thermiques ou photochimique – par exemple de brûlure sur un procédé de type fil-fondu ou liés à l’utilisation de lasers, lampes UV ou faisceaux d’électrons sur d’autres, etc. ;
  • De risques associés à l’utilisation des machines, par exemple de manutention d’éléments lourds pour les opérations de chargement.

Les pistes de prévention incluent notamment l’étude, dès la conception, des modalités de captage des poussières ou gaz émis et de ventilation ou encore la chasse aux risques « machines » plus classiques (mais également, en protection, du port de gants et de lunettes lors de l’ouverture de la machine).

Cobots et technologies d’assistance physique : les risques de la comanipulation

Autres innovations, autres progrès et autres risques… Ces dispositifs permettent entre autre, après une programmation simple (par la démonstration des mouvements à accomplir), une « comanipulation » entre l’homme et la machine permettant de compenser le poids de certaines charges ou d’assister la réalisation d’efforts à accomplir, d’améliorer la précision de certains gestes (en filtrant les tremblements de la main) ou encore de guider le mouvement de l’opérateur [iii].

Ces dispositifs présentent donc de réels avantages dans la lutte contre les troubles musculo-squelettiques ou la pénibilité ! Ils ne sont toutefois pas exempts de risques en conditions normales d’utilisation mais aussi en cas de défaillance mécanique ou logicielle :

  • Ces risques incluent des risques physiques classiques (choc et heurts avec l’utilisateur du cobot ou des personnes se trouvant à proximité) dont le principal est le coincement ou l’écrasement de l’opérateur ;
  • En cas de défaillance de certains dispositifs, notamment de démultiplication des efforts humains, des risques d’accidents sont également à craindre.
  • Les opérateurs peuvent également être blessés en cas de chute des dispositifs (liés à leur inertie propre, importante du fait des efforts fournis).

En outre, contrairement à ce qui est pensé classiquement, les troubles musculo-squelettiques ne disparaissent pas totalement – ils se transforment :

  • Par exemple, si la charge unitaire est plus légère, la charge physique globale ou le tonnage global manipulé ou soulevé peut augmenter ;
  • Par ailleurs, les mouvements plus ou moins contraints et répétitifs de l’opérateur – même assistés par les cobots ou autres dispositifs – peuvent rester très sollicitant pour les articulations ;
  • Enfin, on note plusieurs effets pervers comme un risque de perturbation sensorielle (à la fois lors de l’utilisation des dispositifs ou après leur arrêt, par exemple après l’arrêt d’utilisation d’un exosquelette) pouvant générer des accidents ou encore un risque de lésions du fait d’une « désadaptation musculaire » localisée (une sorte de fonte musculaire du fait de la moindre sollicitation corporelle qui a été compensée par la machine) [iv].

La charge mentale est également impactée car ces robots modifient le degré de vigilance et d’attention à apporter à ses gestes ou mouvements. Ces dispositifs peuvent également donner le sentiment de perte de contrôle sur son travail ou encore nécessiter de modifier les repères sensoriels nécessaires à la réalisation d’une tâche donnée (pour retrouver le « doigté » précédemment acquis après plusieurs années de pratiques manuelles).

Nous l’avons vu, ces technologies portent simultanément des espoirs et des aspects plus sombres. Il est plus que jamais nécessaire d’intégrer les questions de sécurité, de santé et de conditions de travail dès la conception de ces dispositifs en tenant compte du travail réel et vécu, des caractéristiques des opérateurs et de l’organisation plus générale du travail. L’ergonomie, cette science du travail visant à la fois la sécurité de l’opérateur et l’efficacité du travail, a encore de beaux jours devant elle !

Stéphan Pezé
Consultant-formateur
Santé et Sécurité au travail


[i] Voir par exemple l’exosquelette Hercule : http://www.rb3d.com/produits/exosquelettes/

[ii] Voir l’article : « La fabrication additive, un empilement de risques ? » de la revue Hygiène et Sécurité du Travail, n°233, pages 88-92.

[iii] Voir la thèse de Xavier Lamy, soutenue en 2011 à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI) et intitulée Conception d’une Interface de Pilotage d’un Cobot.

[iv] Voir le dossier de l’INRS : http://www.inrs.fr/risques/nouvelles-technologies-assistance-physique/identification-risques.html

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