Responsabilité civile des dirigeants : pas de faute séparable requise par le juge pénal

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Saisi de la seule action civile contre un dirigeant social définitivement condamné ou définitivement relaxé, le juge pénal peut le condamner pour toute faute civile, qu'elle soit ou non séparable de ses fonctions.

Dans deux arrêts solennels rendus en formation plénière le même jour, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur l’importante question de la nature de la faute du dirigeant social susceptible d’engager sa responsabilité civile devant le juge pénal.

Succès de deux actions civiles au pénal contre des dirigeants sociaux 

  • Première affaire : revente de véhicules en violation d’une clause de réserve de propriété 
    • Cass. crim., 5 avr. 2018, n° 16-87.669, n° 554 FP-P+B

Dans la première affaire était en cause le gérant d’une société de vente de véhicules automobiles, qui avait revendu trois véhicules automobiles achetés auprès d’une autre société sans avoir préalablement réglé leur prix d’achat, alors que, par l’effet d’une clause de réserve de propriété, ces véhicules étaient restés la propriété de la société venderesse et n’avaient été remis qu’à titre précaire. Saisie par le seul appel de la partie civile après relaxe – devenue définitive - du prévenu en première instance du chef d’abus de confiance, la cour d’appel relève que le prévenu, ayant parfaite connaissance de cette clause, a commis une faute séparable de ses fonctions de dirigeant engageant sa responsabilité personnelle.

Aussi, dans son pourvoi, le dirigeant social devait-il logiquement reprocher aux juges d’appel de ne pas avoir caractérisé une faute intentionnelle  d’une gravité telle qu’elle puisse être jugée comme incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions sociales. Grief inopérant, la chambre criminelle énonçant « que les juges |n’ont] pas à s’expliquer sur l’existence d’une telle faute pour caractériser une faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ».

  • Seconde affaire : contraventions en matière d’emploi de salariés à temps partiel

    • Cass. crim., 5 avr. 2018, n° 16-83.984, n° 560 FP-P+B

Dans la seconde espèce, une société dont l’objet social était l’offre de prestations d’aide à domicile et son gérant avaient été définitivement condamnés par la juridiction de police pour diverses contraventions en matière d’emploi de salariés à temps partiel. Puis le tribunal de police, restant saisi des seuls intérêts civils, les condamna solidairement à réparer les préjudices invoqués par les salariés constitués partie civile et par un syndicat. Sur appel de la société et de son gérant,  les juges du fond confirmèrent cette condamnation, au motif que les infractions reprochées,  intentionnellement commises, étaient constitutives d’une faute détachable des fonctions et ce, même si elles résidaient dans des actes se rattachant à l’activité de la société. Dans son pourvoi, le gérant de la société contestait évidemment l’existence d’une telle faute, en pure perte. La chambre criminelle juge en effet « que le prévenu, devant répondre des infractions dont il s’est personnellement rendu coupable, quand bien même elles ont été commises dans le cadre de ses fonctions de dirigeant social et ne constituent que des contraventions, engage sa responsabilité à l’égard des tiers auxquels ces infractions ont porté préjudice ».

Absence d’exigence d’une faute séparable : une position propre à la chambre criminelle...

Dans les deux affaires présentement commentées, les cours d’appel, pour engager la responsabilité civile du dirigeant social, avaient retenu des fautes graves, intentionnelles, détachables des fonctions, dont l’existence pouvait être critiquée, du moins dans la deuxième affaire où il ne s’agissait que de fautes contraventionnelles aux antipodes du dol.

Et dans les deux cas, leurs décisions échappent à la censure car pour la chambre criminelle, toute faute civile suffit en l’occurrence, détachable ou non des fonctions. Avec ces deux arrêts solennels, la chambre criminelle adopte une position différente de celle de la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui exige, pour la mise en œuvre de la responsabilité civile personnelle d’un dirigeant social, une faute séparable de ses fonctions, qui lui soit imputable personnellement (Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092 ) ; c’est-à-dire une faute commise intentionnellement et d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions de dirigeant de société (même arrêt).

Une infraction pénale intentionnelle relève assurément de ce type de fautes : ainsi les délits prévus par l’article L. 111-34 du code de la construction et de l’habitation et par l’article L. 243-3 du code des assurances (Cass. com., 28 sept. 2010, n° 09-66.255).

…qui évite une rupture d’égalité entre les dirigeants et les préposés

L’avantage – mis en exergue par l’avocat général dans ses conclusions dans la première espèce - de la solution retenue par la chambre criminelle est d’éviter une rupture d’égalité entre dirigeant social, préposé ou encore professionnel du chiffre poursuivis pour la même infraction, le premier comme auteur principal et le deuxième ou le troisième comme complices, tous répondant au stade de leur responsabilité civile de la moindre faute civile ; ce qu’évidemment ne permettrait pas l’exigence pour le dirigeant social d’une faute lourde, intentionnelle et détachable de ses fonctions, qui le mettrait alors en bien des occurrences à l’abri.

A vrai dire, la compétence même du juge répressif saisi de l’action civile dont la source est une infraction –ou ce qu’il en reste en cas de relaxe, soit les faits objet de la poursuite – commande la solution adoptée par la chambre criminelle. Le juge répressif saisi de cette action civile est tenu de réparer le préjudice direct et personnel de la victime de l’infraction (C. proc. pén., art. 2).

Et il ne saurait y avoir deux poids deux mesures selon les auteurs de fautes civiles procédant de cette infraction. Enfin, cette divergence entre la chambre commerciale et la chambre criminelle de la Cour de cassation devrait logiquement conduire à la tenue d’une chambre mixte ou d’une assemblée plénière.

 

Wilfrid Jeandidier, Professeur agrégé des facultés de droit, Dictionnaire Permanent – Editions Législatives, Veille Permanente 17 mai 2018

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