Harcèlement : le manquement de l'employeur ne justifierait plus automatiquement la prise d'acte...

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Lorsque des actes de harcèlement se produisent dans l'entreprise, ils constituent des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, même si celui-ci a réagi très rapidement. Mais ces manquements sont-ils pour autant « suffisamment graves » pour justifier une prise d'acte de rupture de la part du salarié ?

 

Cass. soc. 11 mars 2015 n° 13-18.603

La prise d’acte de rupture du contrat de travail d’une salariée pour Harcèlement moral et sexuel

Dans cette affaire, une salariée dénonce auprès du DRH, le 9 novembre 2009, le harcèlement moral et sexuel qu'elle subit depuis 6 mois de la part de son chef d'équipe. Une enquête interne est ouverte sur-le-champ et le harceleur est très rapidement licencié pour faute grave.

Près d'un an plus tard, la salariée, en arrêt de travail pour état anxio-dépressif réactionnel, prend acte de la rupture de son contrat puis saisit la juridiction prud'homale.

Les juges du fond estiment que cette prise d'acte doit produire les effets d'une démission. Car si le harcèlement est avéré, aucun manquement à son obligation de sécurité ne pouvait être reproché à l'employeur qui avait, une fois mis au courant des faits, immédiatement pris les mesures nécessaires à la protection de la salariée en licenciant le harceleur.

 

Que dit la Cour de cassation ?

La Cour de cassation ne l'entend pas ainsi. Celle-ci rappelle tout d'abord, au visa des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, que « l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements ».

Or, poursuit-elle, « alors qu'elle constatait que la salariée avait été victime d'un harcèlement moral et sexuel dans l'entreprise, la cour d'appel à laquelle il appartenait dès lors d'apprécier si ce manquement avait empêché la poursuite du contrat de travail, a violé les textes susvisés ».

Autrement dit, les juges auraient dû :
- établir le manquement de l'employeur, qui est, selon les Hauts Magistrats, avéré dès lors que des actes de harcèlement se sont produits dans l'entreprise ;
- et, ensuite, apprécier la gravité de ce manquement patronal (c'est-à-dire « apprécier si ce manquement avait empêché la poursuite du contrat de travail ») pour pouvoir statuer sur le bien-fondé ou non de la prise d'acte de la salariée.


Il y a quelques temps, la Cour de cassation n'aurait pas pris la peine de demander aux juges du fond d'apprécier la gravité du manquement de l'employeur. Elle aurait juste considéré que la cour d'appel avait violé les textes susvisés (à savoir les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 relatifs aux obligations de l'employeur en matière de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des salariés). En effet, avant la série d'arrêts rendus par la chambre sociale il y a tout juste un an, celle-ci considérait que le manquement de l'employeur constitué par l'existence d'actes de harcèlement dans son entreprise justifiait de facto la prise d'acte de la rupture du contrat par la victime.

Est-ce que le manquement de l’employeur est « suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat » ?

Mais depuis les arrêts du 26 mars 2014 (notamment Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-23.634), elle a quelque peu infléchi sa jurisprudence en matière de prise d'acte. Elle considère désormais que quel que soit le manquement invoqué, les juges du fond doivent rechercher si ce manquement est ou non « suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail ».

Et la prise d'acte du contrat due à des actes de harcèlement n'échappe pas à la règle. Ce sont les juges du fond qui doivent apprécier si le manquement de l'employeur est ou non « suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat », le rôle de la Cour de cassation se limitant désormais, en la matière, à vérifier que les juges du fond ont bien procédé à cette recherche. Elle ne prend donc ici pas position sur le bien-fondé ou non de la prise d'acte, se contentant de casser l'arrêt d'appel et de renvoyer l'affaire devant une autre cour.

Quelle sera l'issue de cette affaire ? En l'espèce, le harcèlement  avait cessé depuis pas loin d'un an au moment de la prise d'acte. Si l'on s'appuie sur la position de la Cour de cassation prise dans l'un de ses arrêts du 26 mars 2014 (Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-23.634), le manquement de l'employeur pourrait être considéré comme trop ancien pour justifier une prise d'acte intervenue près d'un an après le licenciement du harceleur. Pour autant, la salariée avait continué pendant tout ce temps à en subir les « lourdes » conséquences...

Delphine de Saint Remy
©Dictionnaire permanent Social

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