Licenciement d'un salarié protégé : l'avis du CE ne doit pas être faussé

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Voter à main levée sur le projet de licenciement d'un représentant du personnel alors que le code du travail prévoit un vote à bulletin secret ? Auditionner en CE l'élu menacé de licenciement alors qu'il sort tout juste de son entretien préalable ? Pour le Conseil d'Etat, tout semble envisageable, dès lors que le comité d'entreprise n'a pas émis son avis dans des conditions ayant faussé la consultation.

C'est une phase incontournable de la procédure spéciale de licenciement des salariés protégés : le projet d'éviction d'un représentant du personnel (hors DS et RSS) est obligatoirement soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement. À travers deux décisions du 4 juillet, le Conseil d'Etat retient une appréciation souple des règles à respecter côté employeur.

Remarque : cette règle est préservée dans le cadre du CSE.

Un simple vote à main levée pour l'avis du CE

Dans la première affaire, un délégué du personnel, également membre du CE, est visé par un projet de licenciement pour faute. En réunion plénière, l'avis du comité d'entreprise est exprimé par un vote à main levée unanimement défavorable à la sanction disciplinaire. La validité de cet avis fait immédiatement débat car l'article R. 2421-9 du code du travail prévoit clairement que "l'avis du comité d'entreprise est exprimé au scrutin secret après audition de l'intéressé".

Pour le Conseil d'Etat, cette violation manifeste du secret des urnes n'affecte pas nécessairement la validité de la consultation du CE sur le projet de licenciement. Il revient au juge de "rechercher si le vice affectant la tenue du vote a été, en l'espèce, compte tenu notamment du caractère unanimement défavorable de l'avis émis par le comité d'entreprise, susceptible de fausser sa consultation", déclare la Haute juridiction administrative. Sans répondre formellement sur le fond, on saisit bien le raisonnement, que l'on pourra qualifier de pragmatique, du Conseil d'Etat : si tous les votes sont défavorables (ou favorables) au licenciement, scrutin secret ou non, le sens du vote de chaque élu est in fine connu de tous (cette position est conforme à celle déjà retenue dans une décision de 1991 : CE, 22 mars 1991, n° 84280).

En entretien préalable le matin, auditionnée par le CE l'après-midi

La seconde décision concerne une élue de la délégation unique du personnel. La salariée est convoquée le 22 mars 2013 au matin à son entretien préalable à un licenciement pour faute grave, avant d'être auditionnée l'après-midi du même jour par la DUP réunie en tant que comité d'entreprise. L'élue menacée de licenciement, qui ignorait tout des fautes reprochées avant cet entretien préalable, se plaint de ne pas avoir disposé d'un délai suffisant pour préparer utilement son audition devant le CE.

Une telle pratique de la part de la direction est-elle admise ? À défaut de répondre directement à cette question, le Conseil d'Etat dicte à l'administration la méthode à suivre : il faut "rechercher si la brièveté du délai dans lequel (l'élue) a préparé son audition a été, en l'espèce, soit de nature à empêcher que le comité d'entreprise se prononce en toute connaissance de cause, soit de nature à faire regarder son avis (...) comme émis dans des conditions ayant faussé cette consultation". Autrement dit, il faut uniquement adopter le point de vue du comité d'entreprise. S'il ressort qu'en pratique l'instance s'est prononcée sur le projet de licenciement avec toutes les informations en main, la procédure d'éviction doit être regardée comme valide.

CE, 4 juill. 2018, n° 397059 (entretien préalable puis audition du CE)
CE, 4 juill. 2018, n° 410904 (vote à main levée)

Mise à pied conservatoire d'un salarié protégé : le couperet du délai excessif de saisine de l'administration

Le délai excessif entre la mise à pied conservatoire d'un salarié protégé et la saisine de l'administration est une irrégularité ayant trait à la procédure diligentée par l'employeur, et implique que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La mise à pied conservatoire d'un représentant du personnel enclenche une procédure encadrée par le code du travail. Si la jurisprudence considère que le respect strict de ces délais n'est pas automatiquement synonyme de procédure irrégulière, ces délais ne doivent pas être "excessifs", eu égard à la gravité de la mesure. La Cour de cassation, pour la première fois à notre connaissance, en tire des conclusions sévères pour l'employeur en cas d'écoulement d'un "délai excessif entre la mise à pied conservatoire et la saisine de l'administration".

Une procédure encadrée de délais

Ainsi, en cas de mise à pied conservatoire, l'employeur doit (C. trav., art. R. 2421-14 pour le CSE, R. 2421-6 pour le CE) :

  • consulter le CSE (ou le comité d'entreprise) dans un délai de 10 jours à compter de la mise à pied conservatoire ;
  • demander l'autorisation de licenciement à l'inspecteur du travail au plus tard dans les 48 heures suivant la délibération du comité. Si l'avis du comité n'est pas requis, la demande est présentée dans un délai de 8 jours à compter de la date de la mise à pied.

Dans cette affaire, la Cour de cassation donne peu de détails, et l'on ne sait pas quels sont les délais pratiqués par l'employeur.

Remarque : la jurisprudence du Conseil d'Etat autorise une certaine "souplesse" concernant ces délais, ceux-ci "ne sont pas prescrits à peine de nullité". Cependant, les juges ont dégagé la notion de "délai excessif", au-delà duquel la procédure est irrégulière et l'autorisation de licenciement doit être refusée.

Ce que l'on sait, c'est que l'inspecteur du travail, qui avait d'abord autorisé le licenciement, a retiré sa décision 4 mois après l'avoir octroyée, et que le tribunal administratif a confirmé la décision de l'inspecteur "au seul motif du non-respect de la procédure de licenciement, sans se prononcer sur les faits fautifs invoqués par l'employeur". Alors, le juge judiciaire peut-il, comme le réclame l'entreprise, se prononcer sur le caractère réel et sérieux du licenciement ? Ou bien la décision du juge administratif lie-t-elle le juge judiciaire, comme en a décidé la cour d'appel ?

Un délai excessif impliquant un licenciement abusif

La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond. Elle explique que la juridiction administrative avait rejeté la demande de l'employeur d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail "aux motifs que la procédure de licenciement était entachée d'une irrégularité tenant à l'écoulement d'un délai excessif entre la mise à pied conservatoire et la saisine de l'administration, laquelle irrégularité ayant trait à la procédure diligentée par l'employeur, ne constituait pas un motif tiré de la légalité externe de la décision administrative, en a exactement déduit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse".

En d’autres termes, dès lors que le juge administratif a évalué le délai de saisine de l'administration comme "délai excessif ", le licenciement qui en a résulté est forcément dépourvu de cause réelle et sérieuse. Aussi, le juge judiciaire n'est pas habilité à évaluer le caractère réel et sérieux du licenciement.

Remarque : pour les salariés "ordinaires", non-soumis à ces délais, la Cour de cassation a précisé que la procédure de licenciement doit être engagée immédiatement après le prononcé d'une mise à pied conservatoire. A défaut, cette mise à pied est requalifiée en mise à pied disciplinaire. Il en résulte que le licenciement est injustifié puisque le salarié est alors sanctionné deux fois pour les mêmes faits, ce qui est interdit (par exemple, Cass. soc., 1er déc. 2011, n° 09-72.958).

Motif de légalité interne

La Cour de cassation souligne que le motif tenant à l'écoulement d'un délai excessif entre la mise à pied conservatoire et la saisine de l'administration est une irrégularité ayant trait à la procédure diligentée par l'employeur. Il ne s'agit pas d'un motif de légalité externe de la décision administrative, c'est-à-dire un refus/retrait d'autorisation lié à un manquement de l'administration. Dans ce cas, la Cour en déduit l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

Ce n'est en revanche pas le cas dans une affaire du même jour, dans laquelle l'autorisation de licenciement avait été annulée au motif de légalité externe tenant à l'absence complète d'enquête contradictoire par l'inspecteur du travail. Dans ce cas, le juge judiciaire se doit alors de rechercher si le licenciement du salarié est justifié ou non par une cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 4 juill. 2018, n° 16-26.138).

 

Cass. soc., 4 juill. 2018, n° 16-26.860
Cass. soc., 4 juill. 2018, n° 16-26.138 

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