Négociation collective : négociez utile !

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Chaque mois Avosial publie une chronique pour actuEL-RH. Ce mois-ci, Danièle Chanal, avocate au sein du cabinet Aguera et docteur spécialiste en droit du travail et de la protection sociale, analyse la perception du dialogue social en France. Selon elle, pour que la négociation fonctionne, ses acteurs doivent prendre conscience de l'outil qu'elle constitue, et ne pas se contenter d'accords-types.

Des thèmes issus des ordonnances Macron, l’un plus que tous les autres, a cristallisé l’attention : celui du dialogue social, ou plutôt, de son épanouissement présumé dans les mois qui viennent. L’inspiration vient d’en haut puisque, dans une formule aussi heureuse qu’ambitieuse, la ministre du travail a fait part de son souhait de réconcilier les performances sociale et économique, grâce à ce dialogue. La formule est heureuse en ce qu’elle laisse enfin entrevoir ou espérer un dépassement de l’opposition traditionnellement frontale, dans notre pays, entre le capital et le travail. Et elle est ambitieuse, pour les mêmes raisons.

Les vertus de la négociation paraissent aujourd'hui faire l’objet, sinon d’une faveur unanime, tout au moins d’un consensus réel. Le rapport sur le dialogue social remis le 16 février dernier à Madame Pénicaud, formule une 21ème et ultime recommandation : organiser, annuellement, des "journées du dialogue social" afin d’exposer les pratiques innovantes en la matière, par les "acteurs de terrain". Bien.

L’institut Odoxa a, de son côté, réalisé pour Humanis un sondage sur l’état du dialogue social en France, dont sa perception par les salariés. Ses conclusions laissent à penser que les bons vœux ne suffiront pas à insuffler une dynamique véritable du dialogue social : plus de la moitié des Français considèrent en effet qu’il se dégrade et est "conflictuel", et les deux tiers estiment qu’il n’est pas favorisé.

Ces statistiques enseignent d’emblée qu’il faudra du temps avant de pouvoir s’enorgueillir, dans ce pays, d’une culture du dialogue social ; ce n’est que la démonstration d’une intuition préexistante. En revanche un autre chiffre, au regard de ceux qui précèdent, laisse perplexe : entre 2015 et 2016 le nombre d’accords collectifs a augmenté de près de 20 %.

Suivi servile des calendriers ou renversement de table ?

A quoi ces accords ont-ils servi ? Manifestement pas à donner à leurs bénéficiaires le sentiment que leur sort quotidien – et son amélioration éventuelle – doit quelque chose au dialogue entre leurs représentants et la direction de l’entreprise.

Quels enseignements en tirer ? Quelques pistes de réflexion ou de réponses à ce sujet :

  • en la matière, assez peu de choses se décrètent : version moderne du vieil adage selon lequel on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, le dialogue social, sa consistance et son utilité dépendront à titre principal de la qualité des relations sociales qui lui préexistent ;
  • l’uniformité est délétère : la culture de l’entreprise, sa prospérité – ou à l’inverse ses difficultés – le mode de management, la personnalité des dirigeants – voire leur stabilité, favorisant la volonté réelle d’un projet durable – et celle des élus, vont évidemment déterminer l’appétence  – ou la réticence – pour le dialogue et influencer ses chances d’aboutir ;
  • les ordonnances Macron offrent, dans ce domaine, des options vertigineuses : celles de négocier sur quasiment n’importe quel thème, mais aussi sur le contenu et les contours – pour dire rapidement les choses – des consultations et négociations obligatoires.

Cette ouverture est redoutable en ce que, dans quelques années, il suffira de faire les comptes des opportunités saisies ou non, dans ce vaste champ de liberté : combien seront restés dans le confort ronronnant du déroulement de la BDES et du suivi servile des calendriers sans entrain ni surprise ? Combien auront renversé la table, en partant du principe – simple – que la négociation, la discussion, l’échange, le dialogue – peu importe le mot, au fond – est un outil ? Un outil de confrontation et de construction, la seconde pouvant naître avec bonheur de la première, dans la perspective d’un projet commun et équilibré ?

Un outil qui certes peut être d’une sophistication plus ou moins fine, révéler plus ou moins de maîtrise, bref un outil dont le maniement s’apprend et peut se perfectionner au fil du temps, mais qui doit toujours rester un moyen et ne jamais devenir une fin.

Autrement dit le dialogue social pratiqué comme une science sans conscience restera voué à produire des documents technocratiques et passablement creux, qui ne satisferont aucune des parties et encore moins les cohortes de salariés auxquels ils sont destinés à s’appliquer : les archives des entreprises et celles des administrations qui les compilent, regorgent d’accords "copiés-collés", des premières "usines à gaz" des 35 heures, vouées à exploser, longtemps après, au nez de leurs rédacteurs hasardeux, à certaines conventions "QVT", dont le verbiage produit bien peu de concret.

L’argument consistant à soutenir que l’appétit vient en mangeant est cruellement contredit par les chiffres rappelés plus haut : les purs exercices de style contentent surtout leurs inventeurs.

Les accords-types, la fausse bonne idée

L’immense majorité des salariés, qui sont l’autre nom des "champs d’application" des accords, ont "seulement" besoin de (bon ?) sens et les entreprises, de moyens de soutenir leur activité. Il faut donc absolument, et toujours, que le contenu précède le contenant.

On s’étonne, à ce sujet, de voir encore fleurir, sous la plume des rédacteurs du rapport remis à notre ministre, la fausse bonne idée, non exempte de condescendance, des "accords types", pourvoyeurs prolifiques de dispositifs pré-pensés, prémâchés, auxquels devraient se plier les souhaits et les suggestions des négociateurs. On l’a dit, les TPE-PME, qui représentent 80 % du tissu économique français attendent autre chose que la distribution de documents à l’allure de formulaires CERFA ou la présentation de l’accord "qui va bien", élaboré en dehors d’eux.

Peut-être ont-elles besoin d’être accompagnées dans la négociation, quoique nombre d’entre elles la pratiquent depuis longtemps dans de nombreux domaines. Elles doivent sans aucun doute, comme les autres, être assistées dans la formalisation de leurs accords ; le rapport précité déplore, sur les "questions relatives au dialogue social", qu’elles soient insuffisamment enseignées et que, lorsqu’elles le sont, "l’approche juridique – certes utile mais bien restrictive – domine".

Osera-t-on rappeler qu’il n’existe pas d’"approche juridique" d’un accord puisqu’il est un acte juridique en ce qu’il constate, par nature, un certain nombre d’obligations, souvent réciproques, consenties par les signataires ? A ce titre le droit ne saurait être "restrictif" : il s’en tient à dire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. La souplesse éminemment novatrice introduite sur ce point par les ordonnances ne doit pas, dans l’emballement de la nouveauté, laisser à penser, comme on a pu l’entendre de toutes les parties intéressées, selon le cas, avec délectation ou effroi, que désormais "tout est possible".

Revenir aux fondamentaux

Le droit reste l’arbitre de la volonté des parties car une clause juridiquement nulle, est condamnée à rester une "bonne intention". Non que de telles intentions soient répréhensibles, mais on ne doit pas en attendre plus qu’elles ne peuvent donner : une touche bienveillante, qui est souvent sincère, à défaut d’être tangible dans le contenu des droits des uns et des autres. Elles ont toute leur place dans le préambule.

Beaucoup moins dans l’accord lui-même qui sera foncièrement fragilisé par une clause nulle ; la relation entre les signataires en sera aussi altérée, car l’annulation d’une clause âprement négociée rompra l’équilibre de la convention. Que la rédaction malheureuse ait été, ou non, candide importe peu : dans tous les cas l’une ou l’autre des parties découvrira, mais trop tard, que ce qu’elle pensait être son droit était une illusion. Il y aura un gagnant et un perdant. Et si l’accord entier a été entraîné dans la chute, il y aura autant de perdants que de signataires, pour s’en tenir à ce seul cercle.

A ce stade, rien n’a été dit des principaux intéressés : tous les salariés qui feront la curieuse expérience de découvrir que la norme avec laquelle ils avaient vécu si longtemps n’en était pas une. Que cela tourne ou non en leur faveur, leur confiance dans le dialogue social en sortira affectée. Et ce sera pire s’ils ont participé via un référendum à l’élaboration de la norme perdue…

Que préconiser alors, d’autre, que de revenir aux fondamentaux ?

Définir son objectif ; sous forme idéale et en mode dégradé, mais précisément. S’assurer que les règles de droit permettent la réalisation des deux options ; adapter l’objectif en conséquence. Evaluer le chemin à parcourir ; identifier les outils juridiques qui faciliteront le voyage s’il se présente semé d’embûches et ceux qui l’allongeront. Négocier, en étant clair sur les engagements et les concessions de chacun : veiller à ne pas promettre ce qui arrangerait tout le monde, mais permettrait à n’importe qui de faire annuler le tout, un jour. Et vérifier que l’on est toujours, au moment de conclure, sur le tout, ou partiellement, dans un cadre qui ne contrevient à aucune règle impérative. Rédiger en termes aussi simples que possible ces engagements, car cela n’a jamais été aussi bien énoncé : ce qui se conçoit bien s’énonce clairement.

Et presque tout deviendra possible….

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