Quel avenir pour les fabricants de pesticides en France ?

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Renforcement des contrôles REACH, opinion publique vent debout, contexte législatif contraignant visant explicitement à restreindre les ventes, scandale du glyphosate… L’industrie des pesticides en France a-t-elle encore un avenir ? Comment devient-il possible d’avoir une activité économique rentable dans un contexte où des objectifs de diminution des ventes sont fixés par voie réglementaire ?

Un constat alarmant

En 2014, le ministère de l’Agriculture indiquait que malgré la mise en œuvre du plan ECOPHYTO, lancé en 2008 à la suite du Grenelle de l’Environnement, la consommation de pesticides, loin d’avoir baissé de 50% conformément à l’objectif fixé initialement, avait au contraire augmenté de 5% en moyenne entre 2009 et 2013, conduisant en 2018 le Gouvernement à renforcer son positionnement sur ce sujet particulièrement sensible.

Un contexte réglementaire déjà difficile…

Avant d’être des pesticides, les produits phytosanitaires sont avant tout des produits chimiques, soumis à ce titre aux règlements REACH, relatif aux règles de mise sur le marché des produits chimiques, et CLP, relatif à la classification de la dangerosité des produits chimiques et à leur étiquetage, dont on vient simplement de quitter en 2018 la période de transition liée à leur mise en place au niveau européen.

En tant que formulateurs de mélanges, les fabricants de pesticides sont donc confrontés aux mêmes difficultés que tous les utilisateurs en aval :

  • D’un côté, il leur faut collecter auprès de leurs fournisseurs les justificatifs relatifs à la conformité au Règlement REACH des substances ou mélanges (enregistrement ou exemption d’enregistrement, types d’usages déclarés par le fournisseur, fiches de données sécurité étendues ou simples) qu’ils utilisent, et se montrer particulièrement vigilants sur les matières premières approvisionnées en dehors de l’Union Européenne ;

  • Et de l’autre, il leur faut suivre l’évolution des connaissances scientifiques et du classement des substances qu’ils utilisent, menée dans le cadre de la poursuite de la mise en œuvre de REACH, afin de faire eux-mêmes évoluer le classement de leurs produits conformément au Règlement CLP, et soumettre ces évolutions aux différentes autorités nationales en charge de la délivrance de leur autorisation de mise sur le marché en tant que produit pesticide.

… et qui va en s’intensifiant !

Au niveau européen, l’ECHA (Agence Européenne des Produits Chimiques) a fait part au mois de juin 2019 de son insatisfaction en ce qui concerne la qualité des dossiers d’enregistrement des substances qu’elle a contrôlés depuis la mise en place du Règlement REACH, et a annoncé l’élaboration prochaine d’un plan d’actions destiné à porter rapidement le taux de contrôle des dossiers de 5% à 20%.

Au niveau national, les inspections REACH font toujours partie des thématiques prioritaires au programme de l’inspection des Installations Classées en 2019, avec le développement, à l’horizon 2022, de synergies particulières avec l’Inspection du Travail sur ce sujet.

Par ailleurs, avec l’analyse de l’échec du plan ECOPHYTO 1 et la promulgation des plans ECOPHYTO 2 et 2+, c’est la pression sur l’ensemble des acteurs de la filière pesticides qui s’intensifie :

  • Augmentation de la redevance pour pollution diffuse ;

  • Obligation de justifier de Certificats d’Economie de Produits Phytopharmaceutiques (CEPP), à l’instar du système des Certificats d’Economie d’Energie ;

  • Séparation des activités de vente et de conseil de produits pesticides.

Une évolution des alternatives au rythme des saisons

Dans le domaine de l’agrochimie, on est de plus dépendant des saisons : même s’il est régulièrement fait état d’abus dans le domaine de l’utilisation des produits phytosanitaires, leur usage, très contrôlé, et leur tarif, élevé, incitent d’ores et déjà à l’économie et si on les utilise, c’est qu’ils ont bien une utilité !

Leur substituer des équivalents moins dangereux pour les populations et l’environnement, ou les remplacer par d’autres techniques (mécaniques ou culturales, par exemple), nécessite d’expérimenter dans des conditions réelles, en plein champ, au gré des facteurs météorologiques de l’année, et ce, sur plusieurs saisons. Il s’agit donc d’un travail de longue haleine et qui requiert, pour les fabricants, de larges investissements en matière de recherche et développement, car il faudra plusieurs années pour valider une nouvelle technique alternative à un produit donné, selon son type d’action (herbicide, fongicide, etc.) et le type de culture (fruitiers, céréales, etc.) sur lequel il s’applique.

Changer de paradigme

Pour ces groupes souvent internationaux, le contexte européen, et encore plus particulièrement le contexte français, s’apparente à un vrai casse-tête, et implique de remettre en cause un modèle économique traditionnellement basé sur une homologation au service du marketing et des commerciaux.

Désormais, on s’oriente vers un système où il faudra avant tout justifier de son efficience, c’est-à-dire d’un niveau d’efficacité agrochimique suffisant, couplé à une innocuité maximale et à une conformité réglementaire sans faille, d’un bout à l’autre de la chaine d’approvisionnement, de fabrication et de mise sur le marché. Nul doute que le marché européen, encore un peu sur la réserve, suivra bientôt l’exemple français, sitôt que celui-ci aura trouvé son point d’équilibre et démontré sa capacité à atteindre ses objectifs de réduction si ambitieux. Seuls les fabricants et distributeurs qui auront su s’adapter suffisamment tôt seront alors probablement encore présents parmi les acteurs de la filière.

 

Valérie Guillet
Ingénieur agronome, Consultante QSE, fondatrice et dirigeante du cabinet de conseil en management environnemental PERENNEO

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