Baux commerciaux : précisions utiles de la Cour de cassation

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L’obligation faite à l’administrateur de résilier un contrat à exécution successive à défaut de fonds suffisants pour acquitter le terme suivant, ne lui interdit pas de mettre fin au contrat de bail à tout moment, même si les loyers peuvent être payés à l’échéance.

Trois arrêts récents rendus par la Cour de cassation, tous publiés au Bulletin, illustrent les problématiques en matière de baux commerciaux liées aux raisons emportant le déplafonnement du loyer, à la résiliation du bail d’une société bénéficiant d’un plan de sauvegarde et à la compétence des juridictions spécialisées dans les pratiques restrictives de concurrence

(Cass. 3eciv., 15 févr. 2018, nos17-11.866 et 17-11.867, no170 FS-P+B+I - Cass. com., 24 janv. 2018,no16-33.333, no46 P + B + I - Cass.3eciv., 15 févr. 2018, no17 11.329,no171 FS- P + B + I).

1. Quelles justifications pour le déplafonnement du loyer ?

La fixation conventionnelle du loyer librement intervenue entre les  parties emporte renonciation à la procédure de révision judiciaire du loyer et constitue une modification notable des obligations respectives des parties (Cass. 3eciv., 15 févr. 2018,nos17-11.866 et 17-11.867, no170 FS-P + B + I).

La Cour de cassation rappelle ici que le déplafonnement se justifie par une modification conventionnelle du loyer au cours du bail, à la hausse comme à la baisse, en dehors des périodes de révision triennales, dans des conditions étrangères tant à la loi qu’au bail initial.

On sait, en effet, que les dispositions du code de commerce relatives au bail commercial soumis au statut écartent de la limite du plafonnement au renouvellement, les loyers des baux portant sur des locaux qui ont bénéficié d’une modification notable (C. com., art. L. 145-33 et L. 145-34) :

  • des caractéristiques du local considéré ;
  • de la destination des lieux ;
  • des facteurs locaux de commercialité ;
  • mais aussi des obligations respectives des parties.

Or, selon la Haute juridiction, constitue précisément une modification notable des obligations des parties justifiant à elle seule le déplafonnement du loyer, la modification conventionnelle du loyer dans des conditions étrangères tant à la loi qu’au bail initial.

En l’espèce, les parties avaient convenu, par avenant, de réajuster le loyer du bail en cours et de renoncer à une procédure en révision qui avait été engagée auparavant. Le locataire soutenait que cet avenant devait être considéré comme une fixation du loyer à la valeur locative en cours de bail dans le cadre d’une action en révision fondée sur l’article L. 145-39 du code de commerce.

On voit l’intérêt d’une telle analyse pour le preneur, puisque la fixation du loyer aurait ainsi relevé d’une disposition légale et n’aurait pas constitué une modification conventionnelle des obligations des parties ouvrant droit au déplafonnement lors du renouvellement.

Ce n’est pas l’interprétation de la Cour de cassation qui considère que la fixation conventionnelle librement intervenue entre les parties, a pour objectif déclaré de matérialiser la renonciation par les parties à une procédure de révision judiciaire du loyer.

L’avenant constitue bien une modification conventionnelle, sorte de renonciation implicite du preneur à la règle du plafonnement.

2. Fin (ou poursuite) du bail loué au preneur en procédure de sauvegarde

L’obligation faite à l’administrateur de résilier un contrat à exécution successive à défaut de fonds suffisants pour acquitter le terme suivant, ne lui interdit pas de mettre un terme, à tout moment, à des contrats de bail, même si les loyers peuvent être payés à l’échéance (Cass. com., 24 janv.2018, no16-33.333, no46 P + B + I).

Conformément aux dispositions du code de commerce, seuls les baux en cours d’exécution au jour de l’ouverture d’une procédure collective peuvent être poursuivis.

Cette décision revient à l’administrateur judiciaire  dans le cadre de la sauvegarde ou du redressement judiciaire. En cas de liquidation judiciaire, c’est au liquidateur qu’elle incombe (C. com., art. L. 641-11-1), sauf si un administrateur judiciaire a été désigné (C. com., art. L. 641-10). Si l’administrateur, ou le liquidateur, prend la décision de poursuivre le bail, il doit alors régler au bailleur toute somme résultant de son exécution.

Mais dans quelles conditions l’administrateur judiciaire d’une société en sauvegarde peut-il mettre fin aux baux commerciaux des locaux servant à l’exploitation de cette société pendant la période d’observation ? Seule l’insuffisance immédiate de trésorerie permet-elle de résilier le contrat de bail ou l’administrateur peut-il mettre fin aux contrats bien qu’il dispose des fonds suffisants pour payer les loyers ?

A cette dernière question, la Cour de cassation vient de répondre par l’affirmative (Cass. com., 24 janv.2018, no16-13.333, no46 P + B + I).

  • La présence de fonds pour le paiement des loyers n’empêche pas la résiliation du bail

En l’espèce, un bailleur avait consenti trois baux à une société, sur des immeubles que celle-ci utilisait pour son activité. Mise en sauvegarde puis bénéficiant d’un plan de sauvegarde, l’administrateur de la société avait alors mis fin aux baux auprès du bailleur, qui avait saisi le juge-commissaire aux fins de voir déclarer que la résiliation lui était inopposable.

Pour sa part, le bailleur soulignait que le choix de l’administrateur de poursuivre les baux lui interdisait d’y mettre fin et qu’il ne pouvait le faire que s’il ne disposait plus des fonds suffisants pour payer les loyers, ce dont il ne justifiait pas.

Les juges du fond, confirmés par la Cour de cassation, déclarent les résiliations opposables en retenant que si l’article L. 622-13, II du code de commerce fait obligation à l’administrateur de résilier un contrat à exécution successive à défaut de fonds suffisants pour acquitter le terme suivant, cette obligation ne lui interdit pas de mettre un terme à tout moment à des contrats de bail, même si les loyers peuvent être payés à l’échéance, comme l’y autorise l’article L. 622-14, 1odu même code.

  • L’interdiction de différer la date de résiliation

Par ailleurs, il résulte de l’article L. 622-14, 1o du code de commerce que la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient au jour où le bailleur est informé de la décision de l’administrateur de ne pas continuer le bail.

Dans ces conditions, le fait que l’administrateur ait indiqué au bailleur que la résiliation n’interviendrait qu’à une date ultérieure,  n’a pas pour effet de la rendre irrégulière ni d’en différer la date. L’indication d’un effet différé est donc sans incidence sur la régularité de la résiliation, et l’administrateur ne peut différer la date de la résiliation. Il reste tenu de libérer les lieux à la date à laquelle il informe le bailleur de sa décision de mettre fin au bail.

3. Compétence du TGI pour connaître des baux commerciaux

Les relations entre bailleur et preneur, liés par un bail commercial, s’inscrivent dans le cadre des dispositions du statut des baux commerciaux et les litiges qui en sont issus ne peuvent être réglés par les dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence (Cass. 3eciv., 15 févr. 2018,no17-11.329, no171 FS-P + B + I).

Les litiges qui portent sur l’exécution d’un bail commercial ne relèvent donc pas des juridictions spécialement désignées pour statuer en application de l’article L. 442-6, I, 2o du code de commerce. Ce dernier a vocation à traiter des seules activités de production, de distribution ou de services.

REMARQUE :  

La loi LME du 4 août 2008 a prévu de confier le contentieux des pratiques restrictives de concurrence à des juridictions spécialisées. Un décret du 11 novembre 2009 est venu fixer la liste limitative des tribunaux de commerce compétents en la matière : il s’agit des tribunaux de Bordeaux, Fort-de-France, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris et Rennes. La cour d’appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris.

Les litiges confiés à ces juridictions sont ceux relatifs aux pratiques restrictives et discriminatoires de concurrence visées par l’article L. 442-6 du code de commerce, et notamment les déséquilibres significatifs dans les droits et obligations des parties, mais aussi l’abus de la puissance d’achat ou de vente, la rupture brutale des relations commerciales, les conditions de paiement abusives, les rabais d’office, etc.

En matière de baux commerciaux, le président du tribunal de grande instance a compétence exclusive pour connaître des contestations relatives à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé (C. com.,art. R. 145-23, al. 1er- C. org. jud., art. R. 211-4,mod. par D. no2009-1693, 29 déc. 2009, art. 1er).

Les autres contestations relatives au statut des baux commerciaux relèvent de la compétence du tribunal de grande instance (C. com., art. R. 145-23, al. 2).

En l’espèce, le preneur avait assigné son bailleur devant le TGI de Paris pour voir dire, à titre subsidiaire, au visa de l’article L. 442-6, I, 2odu code de commerce, que les clauses de non-responsabilité contenues dans le bail traduisaient un déséquilibre significatif engageant la responsabilité du loueur.

Sa demande ne pouvait aboutir puisque les relations entre bailleur et preneur liés par un bail commercial, quels que soient les locaux sur lesquels elles portent, s’inscrivent dans le cadre des dispositions du statut des baux commerciaux prévues aux articles L. 145-1 et suivants du code de commerce.

Celles-ci tendent précisément à assurer l’équilibre des droits de chaque partie au contrat de bail et sont exclusives de toute application conjointe ou alternative des dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce qui, quant à elles, visent à réguler les relations commerciales entre professionnels, portant sur la fourniture ou la distribution de produits ou de services.

 

Stefano Danna  - Dictionnaire Permanent Droit des affaires - Bulletin Mars 2018

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