Loi ELAN et Gestion locative

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La loi ELAN adoptée définitivement le 23 novembre 2018, forte de 270 pages et de 234 articles a impacté les règles existantes en matière de gestion locative.

Nous insisterons sur les apports de la loi nouvelle (dont l’application dépend toutefois de nombreux décrets à paraitre), sachant toutefois que le gouvernement s’est fait habiliter à légiférer par ordonnances – dont le contenu ne sera connu qu’ultérieurement – sur des sujets aussi divers que la lutte contre les marchands de sommeil (habitat indigne) ou le développement du numérique dans les baux d’habitation…

Depuis la loi ALUR du 24 mars 2014, complétée par la loi du 6 août 2015, qui ont bouleversé la loi d’ordre public du 6 juillet 1989 consacrée aux baux réglementés, c’est-à-dire les locations constituant la résidence principale du preneur, c’est la première réforme d’envergure du secteur du logement.

Nous vous en proposons un panorama complet en gestion locative en complément de nos derniers articles sur le sujet. 

Les principales innovations de cette législation concernant la gestion locative sont les suivantes :

  • Création d’un bail « mobilité » de courte durée ;
  • Mise en place contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire ;
  • Retouches diverses de la loi du 6 juillet 1989 ;
  • Abandon définitif de la garantie universelle des loyers instituée en 2014, mais jamais mise en œuvre effectivement ;
  • Articulation du surendettement entre le Code de la consommation et la loi du 6 juillet 1989
  • Répression accrue des locations touristiques clandestines ou irrégulières ;
  • Redéfinition du régime (optionnel à la demande des territoires) de l’encadrement des loyers avec poursuite pour 5 ans d’une expérimentation limitée jusqu’alors à Paris et à Lille ;
  • Rôle simplement consultatif, et non plus disciplinaire, du Conseil National de la Transaction et de la Gestion Immobilières (CNTGI) ;
  • Numérisation du secteur locatif ;
  • Ouverture de l’action de groupe aux baux d’habitation ;
  • Lutte contre les marchands de sommeil.

Le bail « mobilité » (art. 107 loi ELAN) et la résidence temporaire*

*(Sur cette thématique, nous vous renvoyons également à la Newsletter en Immobilier parue en décembre 2018)

Un titre I ter est créé dans la loi du 6 juillet 1989 pour instituer un bail de courte durée (entre un et dix mois) non renouvelable ni reconductible, réservé aux personnes en études, formation ou mutation professionnelle, dans lequel le locataire a la faculté de partir à tout moment moyennant un préavis d’un mois, et dont le loyer est fixé librement (sous réserve toutefois, dans les zones urbaines denses, du plafonnement du loyer au dernier prix pratiqué par le locataire sortant il y a moins de 18 mois, et de l’encadrement des loyers nouvelle formule s’il s’applique à la zone). Aucune solidarité ne peut être stipulée entre les colocataires. Aucun dépôt de garantie ne peut être pratiqué. La commission départementale de conciliation n’est pas compétente pour en connaitre.

Dans le même esprit, l’art. 29 de la loi Elan définit un contrat de résidence temporaire, à titre expérimental, pour lutter contre la vacance de logements. Il s’agit de permettre à des organismes agréés par l’Etat de louer avec souplesse et pour une durée maximale de 3 ans des logements inoccupés même s’ils ont un autre usage antérieur, selon un régime à déterminer par décret, et avec des garanties pour le bailleur assurées par l’intermédiaire.

Mise en place contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire (art.117 de la loi ELAN)*

*(extraits de la Newsletter de décembre 2018)

Le contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire est un contrat par lequel une personne de soixante ans et plus, propriétaire ou locataire, s’engage à louer ou sous-louer une partie de son logement à une personne de moins de trente ans moyennant une contrepartie financière modeste.»

Par dérogation à l’article 8 de la loi du 6 juillet 1989, lorsque la personne de soixante ans et plus est locataire de son logement, elle informe préalablement le bailleur de son intention de sous-louer une partie de son logement à une personne de moins de trente ans dans le cadre d’un contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire, sans que le bailleur puisse s’y opposer.

La durée du contrat et la contrepartie financière sont librement convenues entre les parties.

Lorsque l’un des cocontractants décide de mettre fin au contrat, le délai de préavis applicable est d’un mois.

La loi du 6 juillet 1989 ne s’applique pas aux contrats de cohabitation intergénérationnelle solidaire.

Une charte de la cohabitation intergénérationnelle solidaire définie par arrêté, dont on attend la publication, précise le cadre général et les modalités pratiques de la cohabitation intergénérationnelle solidaire.

Le contrat peut prévoir, en complément de la contrepartie financière, la réalisation, sans but lucratif pour aucune des parties, de menus services par la personne de moins de trente ans.

Le contrat organise une collaboration exclusive de tout lien de subordination entre les cocontractants. Il ne relève pas du Code du travail.

Diverses retouches du volet locatif de la loi ALUR

  • Il est mis fin par l’art. 134 de la loi ELAN à l’obligation pour la caution personne physique de rédiger manuscritement la clause prévue par l’art. 22-1 de la loi de 1989 censée démontrer sa compréhension de ses engagements au bénéfice du preneur.
  • Il était imposé au bailleur par l’art. 135 d’aviser dans le mois le syndic de l’immeuble des coordonnées du nouveau locataire, avec son accord (modification de l’art. 3 de la loi de 1989), mais cet article a été censuré comme « cavalier législatif », et il sera sans doute repris ultérieurement.
  • L’art. 136 crée un nouvel art. 8-2 de la loi de 1989 autorisant le conjoint victime de violences sexuelles de quitter le logement où il cohabite avec l’auteur, ce qui fait cesser pour l’avenir la solidarité des co-locataires envers le bailleur. Les impayés ultérieurs de l’auteur demeurant dans les lieux sont un motif légitime et sérieux d’un congé du bailleur à son encontre.
  • L’art. 137 modifie l’art. 24 de la loi de 1989 qui liste les mentions obligatoires du commandement de payer qui doit précéder la mise en œuvre de la clause résolutoire de plein droit en cas d’impayés de loyer.
  • L’art. 139 impose au bailleur détenant une part significative du parc de référence pris en compte par les observatoires des loyers transmettre audit observatoire les données qu’il détient, comme les professionnels qui y sont déjà astreints. Ce même article réécrit totalement les art. 17, 17-2 et 25-9 de la loi du 6 juillet 1989 qui sont expurgés de toute référence à l’encadrement des loyers, concept défini de façon totalement séparée par l’art. 140 de la loi nouvelle.
  • Il était créé par ailleurs à l’art. 72 un observatoire des diagnostics immobiliers pour informer les citoyens sur l’état des bâtiments, à effet du 1 janvier 2020, mais ce texte a été également censuré par le Conseil Constitutionnel.
  • L’art. 142 ajoute aux conditions de décence des logements du secteur réglementé le défaut d’infestations des locaux par des insectes ou parasites.
  • L’art. 121 réputait sous-entendue ab initio la clause résolutoire pour les troubles de voisinage qu’il incombe au bailleur de faire cesser, et y étaient assimilées certaines infractions (stupéfiants) commises dans l’immeuble, pour lesquelles la résiliation du bail peut être poursuivie en cas de condamnation postérieure à la loi ELAN, mais cet article a été censuré.
  • A l’art. 108 les SCI familiales qui sont assimilées aux personnes physiques pour le bénéfice de certaines exceptions pouvaient être constituées non seulement entre parents ou alliés mais aussi entre concubins notoires, partenaires pacsés, mais ce texte a été censuré.
  • L’art. 128 indique que les colocations peuvent être pratiquées dans le secteur social avec des modalités spécifiques.

Abandon de la GUL par l’art. 154 de la loi ELAN

La garantie universelle des loyers dite « GUL » avait été votée très en détail par la loi ALUR de 2014, mais le gouvernement a fait en sorte de paralyser sa mise en œuvre, ce que le Conseil d’Etat a condamné par un arrêt du 17 mars 2017. Il s’est révélé qu’une garantie généralisée gratuite et obligatoire des loyers apportée par les pouvoirs publics était impraticable en raison de son coût budgétaire excessif. Elle se trouve donc abrogée sans avoir jamais été appliquée.

Répression accrue des « Meublés touristiques » par l’art. 145 de la loi ELAN*

*(Sur cette thématique, nous vous renvoyons également à la Newsletter en Immobilier parue en février 2019)

On sait quel développement fulgurant a connu « la location de courte durée à une clientèle de passage qui n’élit pas domicile dans les lieux loués » en raison  notamment de sa rentabilité par rapport à la location classique, et d’une certaine clandestinité permettant dans un premier temps aux utilisateurs des plateformes collaboratives de type AIRBNB d’échapper aux impositions fiscales et sociales des revenus fonciers correspondants.

Assez rapidement, les pouvoirs publics ont donné aux communes la possibilité de réglementer localement ces dérives, et notamment à Paris ; c’est ainsi que la nécessité de se déclarer auprès de mairies a été instituée, puis que des sanctions sont venues contrecarrer le laxisme qui prévalait jusqu’alors.

Désormais, non seulement les loueurs de meubles de tourisme (définis avec précision par le nouvel art. L 324-1-1 du Code du tourisme) doivent s’identifier, en précisant s’il s’agit de leur résidence principale qui ne peut être louée plus de 120 jours par an, mais encore la circulation des informations essentielles est améliorée et les plateformes sont associées aux nouvelles obligations de transparence, notamment pour le contenu des annonces.

Trois nouvelles amendes civiles prononcées par le juge des référés du tribunal de grande instance, au profit des communes, viennent s’ajouter à celle de 50.000 € qui sanctionnait déjà les locations irrégulières, en l’absence d’autorisation de changement d’usage d’un logement affecté à cette activité quasi-hôtelière de nature commerciale, dont on n’est dispensé que si l’on loue moins de 120 jours par an sa résidence principale (définie comme le lieu que l’on doit occuper au moins 8 mois par an par la loi ALUR).

  • Une amende d’un maximum de 12.500 € par local objet du manquement pour l’obtention de la déclaration sur l’honneur exigée du loueur.
  • Une amende maximale de 50.000 € par local  pour la non-transmission du nombre de nuitées par loueur.
  • Une amende maximale de 50.000 € par annonce pour l’offre à la location d’un meublé au-delà de la limite de 120 jours par an.

Des agents assermentés sont habilités à rechercher et constater les infractions. Toutefois, le Conseil Constitutionnel a censuré comme « cavaliers législatifs » les dispositions nouvelles permettant à ces agents de pénétrer dans les parties communes (art. 144 censuré) ainsi qu’aux huissiers de justice d’accéder aux boites à lettres des immeubles (art. 123 censuré) et enfin aux statisticiens de faire de même (art. 152 censuré).

Il n’est pas apporté de changements au régime pour les dérogations permettant le changement d’usage pour affecter un logement à l’activité, même occasionnelle, de locations touristiques.

La répression globale des locations clandestines ou irrégulières a été fortement augmentée, et les moyens du fisc et des organismes sociaux pour les déceler renforcés, y compris par une loi spécifique « de lutte contre la fraude » promulguée le 23 octobre 2018.

Il s’y ajoute la lutte des syndics de copropriété et des voisins pour faire respecter la destination des immeubles, et faire cesser les nuisances propres à ces allées et venues, incompatibles avec une occupation bourgeoise, généralement imposée dans les règlements des immeubles d’habitation en copropriété par lots.

Régime remanié du surendettement par l’art. 118 de la loi ELAN

Il existait des règles générales du surendettement des particuliers dans le Code de la consommation, et des dispositions spéciales pour les impayés locatifs insérées dans l’art. 24 de la loi du 6 juillet 1989, dont l’articulation est entièrement réécrite.

On doit retenir que le juge judiciaire du bail est mieux informé de la procédure parallèle de surendettement, que les délais accordés dans les deux situations sont transposés ou substitués automatiquement, qu’est instituée une dérogation à l’interdiction de payer par préférence une dette locative après l’admission de la  recevabilité du surendettement, etc…

Poursuite de l’expérimentation de l’encadrement des loyers par les art. 139 et 140 de la loi ELAN

Il a été décidé de poursuivre durant 5 ans l’expérimentation incomplète (puisque limitée originairement à Paris et à Lille au lieu des 412 communes de la région parisienne) du régime novateur de l’encadrement des loyers voté dans le cadre de la loi ALUR. Il prévoyait la fixation annuelle par le Préfet d’un loyer médian de référence en fonction du marché locatif dont les données étaient collectées par des observatoires locaux. Un nouveau bail dans les 28 agglomérations dites « zones tendues » devait respecter un plafond de + 20 % au-dessus du loyer médian, sauf complément pour caractéristiques particulières. Des actions croisées d’augmentation ou de diminution de loyer étaient rendues possibles lors du renouvellement du bail.

Mais la justice administrative a annulé les arrêtés préfectoraux des 3 premières années tant à Paris qu’à Lille où le dispositif avait été illégalement limité par le Gouvernement VALLS 2, le rendant impraticable.

Il a donc été voté le principe d’un volontariat des agglomérations répondant à 4 nouveaux critères de déséquilibre de l’offre locative, devant se manifester dans les 2 ans, et leur permettant de reprendre le mécanisme antérieur inchangé durant 5 nouvelles années, toujours à titre expérimental.

Ce dispositif a toutefois été sorti du cadre de la loi du 6 juillet 1989 dans lequel il avait été incorporé, et il est repris de façon autonome dans le nouvel art. 140 de la loi ELAN pour être appliqué de façon optionnelle dans les anciennes zones tendues listées par décret. Il s’applique également dans les logements meublés.

Il résulte en outre de la combinaison des nouveaux art. 17 et 17-2 de la loi de 1989, qui n’évoquent plus directement comme autrefois l’encadrement des loyers, que le régime de droit commun des locations d’habitat principal qu’elle régit est uniformisé comme suit :

« loyer initial fixé librement hors des zones tendues, et dans ces dernières sous réserve d’assujettissement à l’encadrement des loyers, et du plafonnement au dernier loyer pratiqué pour le locataire sortant (mécanismes pouvant se cumuler), loyer de renouvellement ne pouvant être augmenté, en fonction du marché local, que s’il est manifestement sous-évalué à l’échéance du bail expiré. »

Réforme du CNTGI dans le cadre de la loi HOGUET par l’art. 151 de la loi ELAN

Cet organisme qui avait initialement une fonction disciplinaire est réduit à un rôle consultatif, et sa composition et ses missions sont redéfinies.

Lutte contre l’occupation illicite des logements

Le Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) est modifié pour intégrer la possibilité pour le juge de supprimer ou réduire les délais légaux lorsque l’occupation procède d’une voie de fait. Les squatters peuvent ne pas bénéficier de la trêve hivernale du 1 novembre au 15 mars.

Numérisation du secteur locatif

La transmission dématérialisée d’extraits du règlement de copropriété au locataire par le bailleur est prévue à l’art. 218. Il en sera de même pour les annexes du bail, dont les diagnostics. 

Ouverture de l’action de groupe aux Baux d’habitation (art.138 de la loi ELAN)

Pour contrer la jurisprudence excluant du domaine de l'action de groupe les baux d'habitations régis par la loi du 6 juillet 1989 ( CA Paris, ch. 4-3, 9 nov. 2017, n° 16/05321), la loi ELAN précise que cette procédure est également applicable dans le cadre de la location d'un bien immobilier (C.consom., art. L. 623-1, mod. par L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 138).

L'action de groupe permet de rassembler dans une seule procédure les demandes de réparation émanant d'un grand nombre de consommateurs qui, victimes des pratiques illicites ou abusives d'un même professionnel, se trouvent dans des situations similaires. Elle offre une action en réparation pour le traitement des contentieux de consommation de masse

Lutte contre les marchands de sommeil et prévention de l’habitat indigne

De nombreuses dispositions (aux art. 185 à 198 de la loi ELAN) facilitent la répression de ces pratiques abusives. Toutefois l’art. 200 a été censuré en ce qu’il concernait les conditions d’autorisation de mise en location d’un logement en habitat dégradé.

Censures du Conseil Constitutionnel touchant le volet locatif de la loi ELAN

Le juge constitutionnel a également censuré diverses dispositions, qui seront sans doute reprises par la suite sous une autre forme, parmi lesquelles on signalera :

  • l’art. 155 prévoyant une révision tous les 5 ans de la liste des charges récupérables sur le locataire,
  • l’art. 147 exemptant les propriétaires pratiquant la location saisonnière de fournir certains diagnostics techniques.
  • l’art. 72 créant un observatoire des diagnostics immobiliers, pour l’information du public.
  • l’art. 91 donnant aux services de police et de gendarmerie un accès permanent aux parties communes des immeubles HLM.

Au total, il y a eu 20 articles censurés et dans 19 cas pour non-respect de la procédure parlementaire (insertion d’amendements sans rapport avec l’objet initial de la loi).

 

François de LA VAISSIERE, Avocat honoraire du barreau de Paris, enseignant et spécialiste en droit immobilier, formateur ELEGIA.

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