La loi ELAN officialise le phénomène du mitage sur le littoral

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La loi du 23 novembre 2018 assouplit la loi Littoral en créant une nouvelle catégorie d'espace intermédiaire, entre village et urbanisation diffuse, où une certaine constructibilité est explicitement admise. Elle autorise plus largement les constructions liées aux activités agricoles et conchylicoles et permet l'implantation de réseaux de communication électronique en vue du déploiement de la fibre.

(L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 42, 43, 45 : JO, 24 nov.)

En voulant retoucher la loi Littoral, la loi ELAN a fait couler beaucoup d’encre, comme chaque fois que le Parlement débat de ce texte. Pour autant, les modifications apportées par les articles 42, 43 et 45 restent assez limitées. Elles sont issues de nombreuses réflexions des élus sur les difficultés d’application de la loi Littoral et les moyens d’y apporter des corrections. Le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution (sans réserve), estimant qu'elles ne méconnaissent pas le droit à un environnement sain, le devoir de préservation et d'amélioration de l'environnement et le principe de précaution protégés respectivement par les articles 1er, 2 et 5 de la charte de l'environnement ni aucune autre exigence constitutionnelle (Cons. const., déc., 15 nov. 2018, n°2018-772 DC).

  • Le rôle accru du SCOT dans la mise en oeuvre de la loi Littoral

L’article 42 de la loi ajoute un alinéa très important à l’article L. 121-3 du Code de l’urbanisme prévoyant que le SCOT précise les modalités d’application des dispositions de la loi Littoral (désormais codifiées aux articles L. 121-1 à L.121-51 du code de l’urbanisme), en tenant compte des paysages, de l’environnement, des particularités locales et de la capacité d’accueil du territoire (C. urb., art. L. 121-3, al. 2, mod. par L. ELAN, art. 42). En outre, le SCOT détermine les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, et en définit la localisation. Autrement dit, il revient aux auteurs du schéma de localiser les interstices désormais susceptibles d’urbanisation sur le littoral. La loi ELAN confère ainsi au SCOT une importance fondamentale et l'autorise à préciser, en fonction des circonstances locales, les notions souvent un peu floues de la loi Littoral, notamment celles de « villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés ».

Afin d’accélérer la mise en œuvre de ces possibilités, des mesures transitoires autorisent le recours à la modification simplifiée des SCOT et des PLU, mais seulement jusqu’au 31 décembre 2021 (v. ci-dessous).

  • La notion d'urbanisation en continuité revisitée
> Création d'une catégorie intermédiaire, entre village et urbanisation diffuse

La notion d’extension "en continuité" de l’urbanisation est précisée et adaptée. La loi Littoral, reprenant sur ce point la loi Montagne, prévoyait jusqu’alors que l’extension de l’urbanisation devait se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. Cette dernière notion disparaît au profit d’une nouvelle catégorie d’espaces à urbaniser, entre le village ou l’agglomération et l’urbanisation diffuse, dans laquelle une certaine constructibilité est explicitement permise (C. urb., art. L. 121-8, mod. par L. ELAN, art. 42, I, 2°). Ainsi, dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le SCOT et délimités par le PLU, des constructions et installations peuvent être autorisées à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics. Ces constructions et installations ne doivent toutefois pas avoir pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Cependant, la loi exclut expressément une telle urbanisation dans la bande littorale de 100 m, les espaces proches du rivage et sur les rives des plans d’eau mentionnés à l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme.

Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs.

A quoi peuvent correspondre ces "secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages" ? Il s'agit vraisemblablement des secteurs caractérisés par un nombre suffisant de constructions, à défaut ils ne pourraient pas être qualifiés de "déjà urbanisés", mais d’une densité insuffisante. En d’autres termes, des secteurs ayant fait l’objet, dans le passé, d’un mitage important, mais insuffisamment organisé pour pouvoir constituer un village. La loi permet à l’avenir de remplir les interstices, en dehors des espaces proches du rivage et de la bande des 100 m.

> La fin programmée des "hameaux nouveaux intégrés à l’environnement"

La loi ELAN supprime la possibilité de créer des "hameaux nouveaux intégrés à l’environnement", avec effet différé.

Malheureusement, au passage, l’article 42 de la loi fait aussi disparaître l’obligation de veiller à ce que l'urbanisation nouvelle soit correctement insérée dans l’environnement. Il impose seulement que les demandes de permis de construire soient soumises, pour avis, à la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et soient refusées lorsque les constructions et installations sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages. Mais cet examen, permis par permis, ne permettra pas toujours d’apprécier l’aménagement global du secteur.

Dans sa version antérieure, l’article L. 121-8 du Code de l'urbanisme, en prévoyant que les hameaux nouveaux devaient être intégrés dans l’environnement, imposait, pour ces projets, une véritable réflexion d’urbanisme, qui se traduisait, la plupart du temps, par un plan masse des constructions et des orientations d’aménagement et de programmation assez précises sur les espaces publics. Mais les auteurs des PLU faisaient rarement l’effort d’élaborer un projet urbain de qualité lorsqu’ils autorisaient une urbanisation nouvelle, la plupart du temps hâtivement qualifiée de hameau pour respecter formellement la loi Littoral.

> Un régime transitoire

Des mesures transitoires organisent la mise en œuvre des nouvelles dispositions. Ainsi, les SCOT et les PLU peuvent faire l’objet d’une procédure de modification simplifiée (moins contraignante) pour identifier les nouveaux secteurs à urbaniser (L. ELAN, art. 42, II). Deux conditions sont néanmoins posées :

  • la consultation préalable de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites,
  • l’engagement de la procédure avant le 31 décembre 2021.

Par ailleurs, jusqu’au 31 décembre 2021, des permis de construire peuvent être délivrés dans des espaces ayant vocation à être qualifiés de secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages (secteurs nouvellement urbanisables en application de l’article L. 121-8 modifié du code de l’urbanisme), mais non identifiés par le SCOT ou non délimités par le PLU, en l’absence de modification ou de révision de ces documents initiée après le 24 novembre 2018. Plusieurs conditions encadrent cette mesure. Les constructions et installations ne doivent pas avoir pour effet d’étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. En outre, les permis ne peuvent être délivrés qu’après accord du préfet et avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.

En outre, la suppression des hameaux nouveaux intégrés dans l’environnement ne s’applique pas aux révisions, mises en compatibilité et modifications de documents d’urbanisme approuvés avant le 31 décembre 2021.

Une autre mesure visant à sécuriser les autorisations délivrées avant la publication de la loi précise que la suppression de cette notion ne s’applique pas aux demandes de permis de construire déposées avant le 31 décembre 2021 (L. ELAN, art. 42, V).

> Le cas de la Corse

Dans les communes de la collectivité de Corse n’appartenant pas au périmètre d’un SCOT en vigueur, le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) peut se substituer à ce schéma pour :

  • préciser les modalités d’application de la loi Littoral (application de l’article L. 121-3, alinéa 2, du code de l’urbanisme),
  • déterminer des espaces de densification (application de l’article L. 121-8 du même code),
  • la délivrance "encadrée" des permis de construire, jusqu’au 31 décembre 2021, dans les secteurs susceptibles de densification mais non identifiés par les documents d’urbanisme, sous réserve de l’accord du préfet et de l’avis de la commission des sites (L. ELAN, art. 42, IV).

Par ailleurs, pour les communes soumises à la fois aux lois Montagne et Littoral, une disposition prévoit que le PADDUC peut déterminer des secteurs, situés en dehors des espaces proches du rivage où les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme (qui imposent une urbanisation en continuité) ne s’appliquent pas. Ces secteurs seront ensuite délimités dans le PLU. Leur détermination nécessite l’accord du préfet et l’avis du Conseil des sites de Corse (CGCT, art. L. 4424-12, II bis, ajouté par L. ELAN, art. 45, II).

Cette mesure ouvrira inéluctablement un débat sur l’application de la loi Littoral dans les communes placées dans une situation comparable, comme les communes de montagne riveraines d’un lac de plus de 1 000 hectares et les communes de la Réunion, qui dispose, comme la Corse, d’un schéma régional.

  • Les constructions liées aux activités agricoles et conchylicoles autorisées

L’article L. 121-10 du Code de l’urbanisme autorise l’implantation des constructions ou installations liées aux activités agricoles ou forestières en discontinuité de l’urbanisation à condition que ces installations soient incompatibles avec le voisinage des zones habitées et qu’elles soient situées en dehors des espaces proches du rivage. L’autorisation doit recueillir l’accord du préfet après avis de la commission des sites.

La loi ELAN étend l’exception à toutes les activités agricoles (supprimant ainsi la notion d’incompatibilité avec le voisinage des zones habitées). Les constructions agricoles demeurent interdites dans les espaces proches du rivage, excepté les "constructions ou installations nécessaires aux cultures marines" (C. urb., art. L. 121-10, mod. par L. ELAN, art. 43). Cette disposition est un peu restrictive, davantage en tout cas que celle qui figure à l’article L. 121-17 du code de l'urbanisme, qui autorise, dans la bande littorale de 100 mètres, les constructions ou installations nécessaires à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau. Il est toutefois incontestable que le nouveau texte corrige une des caractéristiques les plus souvent critiquées de la loi Littoral : le fait que ce texte était très défavorable à l’agriculture dans les communes littorales, contrairement à la loi Montagne.

Le législateur a prévu des garde-fous. Les permis doivent recevoir l’accord du préfet et sont délivrés après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. La loi ajoute également l’avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). L'accord du préfet sera refusé si les constructions ou installations sont de nature à porter une atteinte à l'environnement ou aux paysages.

Enfin, le législateur a pris soin d’interdire tout changement de destination de ces constructions ou installations.

  • Des éoliennes sur les petites îles

Un article L. 121-5-1 est ajouté au Code de l’urbanisme afin d’autoriser l’implantation d’éoliennes dans les communes littorales qui ne sont pas connectées au réseau électrique continental et dont la largeur est inférieure à 10 kilomètres (C. urb., art. L. 121-5-1, créé par L. ELAN, art. 44).

Cette rédaction, un peu étrange, constitue le énième épisode de la saga des éoliennes dans les communes littorales. Le législateur est en effet intervenu à plusieurs reprises pour atténuer les conséquences de la jurisprudence du Conseil d’État, en vertu de laquelle la construction des éoliennes devait être regardée comme une extension de l’urbanisation et ne pouvait donc être effectuée qu’en continuité d’une agglomération ou d’un village existant, ce qui aboutissait, en pratique, à interdire leur implantation (CE, 14 nov. 2012, Sté Neo Plouvien, n° 347778). En premier lieu, la loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre a autorisé la construction d’éoliennes dans les espaces proches du rivage des communes littorales d’outre-mer tout en encadrant la dérogation (accord du préfet et avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites). En second lieu, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a étendu cette dérogation aux communes littorales de métropole, en autorisant les éoliennes en dehors des espaces proches du rivage et au-delà de la bande d’un kilomètre du rivage. Cette mesure codifiée à l’article L. 121-12 du code de l’urbanisme excluait toutefois les projets d’éoliennes dans les petites communes insulaires, comme l’île de Sein, dont la largeur n’atteint à aucun endroit le kilomètre. La loi ELAN répare cet oubli.

  • Dérogation à l'inconstructibilité pour le déploiement de la fibre

L'article 224 de la loi ELAN autorise l'établissement de réseaux ouverts au public de communications électroniques afin de permettre le déploiement de la fibre, d'une part, dans la bande des 100 mètres, d'autre part, dans les espaces remarquables du littoral (C. urb., art. L.121-17 et L. 121-25). Il étend à leur profit la dérogation au principe d'inconstructibilité qui avait été introduite par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour l'atterrage des canalisations électriques et leurs jonctions.

  • Les aménagements légers mieux encadrés

Le législateur a souhaité améliorer le dispositif de protection des espaces remarquables ou caractéristiques et des milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques prévu par l’article L. 121-24 du code de l’urbanisme (C. urb., art. L. 121-24, mod. par L. ELAN, art. 45). Il précise d’abord que la liste des aménagements légers susceptibles d’être autorisés dans ces milieux et espaces sera limitativement établie par un décret en Conseil d’État (au lieu d’un décret simple précisant la nature et les modalités de réalisation de ces aménagements). Ensuite, les projets d’aménagement seront soumis, en sus de l’enquête publique (déjà prévue par la loi), à l’avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.

Enfin, il est précisé que les aménagements ne doivent pas porter atteinte au caractère remarquable du site (la rédaction imposant qu’ils "participent directement au caractère remarquable du site" n’a finalement pas été retenue).

 

Philippe Baffert, Consultant - Ancien chef du bureau du droit de l'urbanisme – Veille Permanente du Dictionnaire Permanent, le 17 décembre 2018

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