Points délicats du régime de la location meublée en Fiscalité

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La location meublée est assimilée à une activité commerciale au sens du droit fiscal. Pour autant peut-on en déduire une acceptation commune quel que soit le régime d’imposition : en matière d’IR, d’IFI, ou encore pour les plus-values portant sur les opérations d’apport cession ?

Rien n’est moins sûr

Le point sur cette question …

Rappel du dispositif  pour les opérations d’apport avant cession 

Les plus-values d'apport de titres à une société contrôlée par l'apporteur sont soumises à un régime de report d'imposition de plein droit, auquel il est mis fin notamment lors de la cession des titres apportés dans un délai de trois ans suivant l'apport, sauf réinvestissement économique d'au moins 50 % du produit de la cession dans un délai de deux ans suivant la cession (article 150-0 B ter du Code général des impôts, ci-après « CGI »).

1° - Actionnaire/Dirigeant -> Holding : Apport de titres à la Holding

La plus-value réalisée par l’actionnaire/le dirigeant lors de cet apport est placée sous le régime du report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du CGI.

2° - Holding -> Repreneur : Cession des titres par la Holding à un repreneur dans un délai de 3 ans suivant l’apport

La plus-value réalisée par l’actionnaire/le dirigeant reste en report sous réserve du respect des conditions mentionnées ci-après

3° - Holding -> Activités éligibles 

Maintien du report d’imposition si réinvestissement de 50 % du produit de cession

Quid de la location meublée : est-elle un réinvestissement économique éligible permettant le maintien du report d’imposition de la plus-value ?

La location meublée est un outil d’investissement intéressant.

En effet, la location meublée présente de nombreux avantages juridiques et fiscaux : une règlementation plus souple en matière de baux et une fiscalité attrayante du fait notamment de la déduction d’un amortissement.

La location est dite « meublée » lorsque le logement est :

  • « équipé d’un mobilier en nombre et en qualité suffisants pour permettre au locataire d’y dormir, manger et vivre convenablement au regard des exigences de la vie courante » (article 25-4 de la Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989)

Le décret n° 2015-981 du 31 juillet 2015 fixe la liste des éléments de mobilier d'un logement meublé.

  • Si la location meublée est une activité commerciale par détermination de la loi fiscale…pour l’application de l’impôt sur le revenu

Les revenus issus de la location meublée sont considérés comme des bénéfices industriels et commerciaux, à la différence des revenus de la location nue qui sont taxés dans la catégorie des revenus fonciers.

En effet, s’il est traditionnellement admis que la location meublée est une activité civile (notamment Cass. Com. 5 décembre 1961, D.1962.88), le juge de l’impôt a de longue date considéré que l’exercice à titre habituel de la location meublée relève d’une activité commerciale au sens de l’article 34 du CGI (cf. CE 19-1-1983 n° 31906, 8e et 9e s.-s. : RJF 3/83 n° 382 et pour une application récente CAA Versailles 7-2-2017 n° 15VE02918 : RJF 5/17 n° 411).

L’article 114 de la loi n°2016-1918 de finances rectificative pour 2016 a inséré au I de l'article 35 du CGI, un 5° bis selon lequel les revenus issus de la  location directe ou indirecte des locaux d'habitation meublés présentent le caractère de bénéfices industriels et commerciaux pour l'application de l'impôt sur le revenu.

A compter des revenus perçus en 2017, c’est donc désormais la loi qui assimile la location de locaux d’habitation meublés à une activité commerciale, étant précisé que la condition d’exercice à titre habituel a disparu.

Aussi, la location meublée constitue toujours une activité commerciale au sens fiscal.

Pour autant, en matière d’impôt sur le revenu et en matière d’imposition sur la fortune immobilière (ci-après « IFI »), le législateur continue de distinguer entre le loueur en meublé professionnel et le loueur en meublé non professionnel. Ainsi, si la location meublée est toujours une activité commerciale au regard du droit fiscal, l’activité de loueur en meublé n’est pas toujours une activité professionnelle.

  • Est-elle une activité éligible au réinvestissement économique pour le régime des apports avant cession ?

Plusieurs dispositifs fiscaux de faveur subordonnent le bénéfice du régime à l’exercice d’une activité commerciale.

C’est le cas de l’article 150-0 B ter applicable en matière d’apport avant cession.

Cela étant, dans sa nouvelle version en vigueur à compter du 1er janvier 2018, le nouvel article précise que le réinvestissement du produit de la cession dans le financement d'activités commerciales s'entend de celles visées par les articles 34 ou 35 du CGI (Voir notamment, pour le bénéfice du régime de l’abattement renforcé en matière de plus-value des particuliers (article 150-0 D) ou encore en matière d’IFI pour le bénéfice de l’exonération des biens immobiliers affectés à l’exploitation (article 966)), c'est-à-dire les activités commerciales par nature ou par détermination de la loi, dont la location meublée.

En revanche, le même texte prévoit que ne sont pas éligibles au réinvestissement les activités de gestion par la société bénéficiaire de l'apport de son propre patrimoine mobilier ou immobilier.

Aussi, la circonstance que la loi qualifie désormais la location meublée d’activité commerciale change-t-elle la donne pour faire valoir que la condition de l’exercice d’une activité commerciale est dorénavant respectée ? En d’autres termes, la location meublée est-elle toujours une activité éligible au réinvestissement économique ? Rien n’est moins sûr et le doute est permis. 

  • La prudence semble être de rigueur…

La location meublée est en effet à la frontière entre l’activité de gestion de son propre patrimoine et l’activité commerciale.

Ainsi, si de prime abord, le renvoi explicite à l’article 35 du CGI pourrait permettre de faire valoir que l'acquisition de biens immobiliers d’habitation destinés à la location meublée est une activité commerciale désormais éligible au réinvestissement économique, il existe à notre avis toujours un risque sérieux que l’administration fiscale considère que la location meublée est une activité de gestion de son propre patrimoine immobilier non éligible au réinvestissement.

Par le passé, l’administration fiscale a déjà considéré que l'acquisition de biens immobiliers destinés à la location immobilière, qu'elle soit nue ou meublée, n'est pas éligible au remploi (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60 n° 310 à jour au 4 mars 2016) car il s’agit selon elle avant tout d’une activité de gestion de son propre patrimoine. De même, le comité de l'abus de droit fiscal a également considéré pour le régime du sursis d’imposition (article 150-0 B) que l'activité de loueur en meublé présente un caractère patrimonial en matière d'apport-cession de titres, sauf si la location meublée est assortie de services para-hôteliers (Avis CADF 2012-51 du 14-2-2013 et 2016-10 du 19-1-2017).

Aussi, il existe à notre avis un risque sérieux que l’administration fiscale considère que l’activité de location meublée non assortie de services n’est pas une activité éligible au sens de l’article 150-0 B ter alors même qu’il s’agit d’une activité commerciale au sens de l’article 35 du CGI.

Qu’en est-il en matière d’IFI : la prise de position du législateur

Il convient d’être d’autant plus prudent que le législateur donne à notre avis en matière d’IFI des premiers éléments de réponse défavorables.

En effet, en matière d’IFI, les biens d’habitation loués meublés ne sont en principe pas exonérés d’IFI alors même que le texte de l’article 966 du CGI renvoie à la notion d’activité commerciale au sens des articles 34 et 35 du CGI, parmi lesquelles figure comme nous l’avons vu ci-avant la « (…) location directe ou indirecte des locaux d'habitation meublés » (article 35 I, 5° bis du CGI). Le législateur a cependant prévu une exonération mais uniquement pour les loueurs en meublé professionnels.

En effet, l’article 975, V du CGI dispose que l'activité de location meublée est considérée comme commerciale dans deux hypothèses :

  • lorsqu'elle est exercée par une société ou un organisme qui constitue un bien professionnel pour le contribuable ;

  • lorsque, exercée directement par le redevable personne physique, celui-ci réalise plus de 23 000 € de recettes annuelles et retire de cette activité plus de 50 % des revenus professionnels imposables du foyer fiscal auquel il appartient.

Remarque : Il convient de relever que la condition tenant à l’inscription d’un des membres du foyer fiscal au registre du commerce et des sociétés n’est pas inscrite dans la loi, probablement par anticipation de la décision n°2017-689 QPC du 8 février 2018. En effet, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’exigence d’inscription au registre du commerce et des sociétés pour la qualification de loueurs en meublé professionnel en matière d’impôt sur le revenu.

L’approche retenue par le législateur en matière d’IFI nous invite donc à la prudence en matière de réinvestissement éligible pour le bénéfice du maintien du report d’imposition en matière de plus-values. Nous attendrons avec intérêt les commentaires de l’administration fiscale sur ce point.

 

Emmanuel Bigarré, Avocat associé du Cabinet Touttée Conseil & Associés, spécialiste en droit fiscal et formateur ELEGIA

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