Réforme du droit de la responsabilité civile : un chantier à poursuivre

Publié le - Mise à jour le

Voir toutes les actualités

Avant son départ de la Chancellerie, Jean-Jacques Urvoas a rendu public le projet de réforme amendé après la consultation publique menée d'avril à juillet 2016. Il dépendra, désormais, du futur gouvernement de faire franchir à ce texte l'étape du vote.

 

Fruit d'un long processus de réflexion et de concertation, le chantier de réforme de la responsabilité civile vient de franchir une étape décisive, le 13 mars 2017, avec la présentation officielle, par Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, du projet de loi élaboré par ses services.  "Ce projet est une œuvre collective portée par la Chancellerie. Il doit servir de base aux discussions interministérielles en vue du dépôt d’un projet de loi. La session parlementaire étant achevée, je le laisse à la disposition de mon éventuel successeur, pour qu’il puisse être soumis au Parlement et que soit adoptée une grande réforme du droit de la responsabilité civile, indispensable, qui viendra parachever la réforme du droit des obligations entamée par l’ordonnance du 10 février 2016". C’est en ces termes que Jean-Jacques Urvoas, conclut sa présentation à la presse.

Le projet de réforme de la responsabilité civile répond aux impératifs de toute codification dont l'objectif et de renforcer la sécurité juridique en rendant le droit plus intelligible et accessible. C'est ainsi qu'ont été repensées les règles applicables à la responsabilité contractuelle et extracontractuelle regroupées dans un même sous-titre.  A cette occasion, le projet apporte de nombreuses améliorations au droit existant.

 

Réécritures au sein du titre III du livre III du code civil

Au sein du titre III concernant les sources des obligations, il est prévu de remanier la toute fin du sous-titre 1er intitulé « Le contrat ». Les actuels articles 1231 à 1231-7 traitant de la réparation du préjudice du fait de l'inexécution du contrat devraient être abrogés et remplacés un seul article 1231 renvoyant au sous-titre II entièrement réécrit et renommé "La responsabilité civile".

Le projet organise ce sous-titre II autour des six chapitres suivants :

  • Dispositions liminaires (art. 1233 à 1234) ;
  • Les conditions de la responsabilité (art. 1235 à 1252) ;
  • Les causes d’exonération ou d’exclusion de la responsabilité (art. 1253 à 1257-1) ;
  • Les effets de la responsabilité (art. 1258 à 1280) ;
  • Les clauses portant sur la responsabilité (art. 1281 à 1284) ;
  • Les principaux régimes spéciaux de responsabilité (véhicules terrestres à moteur/produits défectueux) (art. 1285 à 1299-3). 

Clarification du droit et « sanctuarisation » de certains principes jurisprudentiels

Le projet vise à consolider les grands principes du droit de la responsabilité civile énoncés par les rares textes actuels et par les multiples apports jurisprudentiels. Il en est ainsi du non-cumul entre les deux ordres de responsabilité (article 1233), assorti d'une exception au profit des victimes d'accidents corporels (art. 1233-1) et de la possibilité pour un tiers de se prévaloir de l'inexécution d'un contrat pour apporter la preuve d'une faute délictuelle commise à son encontre (art.1234).

Est maintenu le principe général de l'ancien article 1382, fondement de la responsabilité délictuelle,  reformulé plus simplement : "On est responsable du dommage causé par sa faute" (art. 1241).

Sont, par ailleurs, "sanctuarisés" les principes de réparation intégrale (art. 1258), de libre affectation des dommages-intérêts (art. 1264) et d'évaluation de leurs montants par poste de préjudice (art. 1262).

Il est également proposé de profiter des apports jurisprudentiels pour clarifier les régimes de responsabilité du fait d’autrui (art. 1245 à 1249) et du fait des choses (art. 1243) et consacrer le régime de responsabilité sans faute pour "troubles anormaux de voisinage" (art. 1244), notion, jusqu’alors, purement jurisprudentielle (Cass. 1re civ., 23 mars 1982, n° 81-10.010 : Bull. civ. I, no 120).

La réforme sera l'occasion de supprimer la responsabilité du fait des bâtiments (ancien article 1386 devenu l'article 1244 du code civil), suivant en cela les préconisations de la Cour de cassation et les conclusions de la commission Catala. Les dommages liés à la ruine du bâtiment relèveront de la responsabilité du fait des choses.

Les évolutions juridiques proposées

Outre la clarification du droit existant, le projet de loi propose de le faire évoluer. Il prévoit de consacrer la fonction préventive de la responsabilité civile et non plus seulement réparatrice. A cette fin, il introduit dans le code civil l'action en "cessation de l'illicite" qui permettra au juge de prescrire toute mesure définitive ayant pour objet de prévenir le dommage ou de faire cesser un trouble illicite (art. 1266).

Remarque : l’exemple est donné du maître de l’ouvrage qui a obtenu un permis de construire pour une maison de plain-pied. Si son voisin peut prouver qu’il s’apprête à construire une maison à étage, plutôt que d’attendre qu’il l’ait fait, il pourra demander au juge d’interdire la construction de l’étage (Dossier de Presse, p. 3).

Ce nouveau pouvoir du juge viendra s'ajouter à celui dont dispose déjà le président du TGI dans le cadre d'un référé (C. pr. civ., art. 809).

Dans le même souci de prévention,  seront considérées comme "préjudice réparable" les dépenses exposées par le demandeur pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage ou pour éviter son aggravation, ainsi que pour en réduire les conséquences (art. 1237).

Pour responsabiliser les victimes, le projet contient une disposition inspirée du concept de "mitigation" issu de la common law. Elle prévoit la réduction des indemnités (sauf en cas de dommage corporel) lorsque la victime n’aura pas pris les mesures sûres et raisonnables, notamment au regard de ses facultés contributives, propres à éviter l'aggravation de son préjudice (art. 1263). Il s'agit-là d'une véritable innovation au regard du droit actuel qui ne reconnaît pas d'obligation générale pour la victime de diminuer son dommage dans l'intérêt de la personne reconnue responsable.

Remarque : le principe  de non-limitation du préjudice de la victime avait été posé dans deux arrêts rendus par la Cour de cassation dans le cadre de l'indemnisation d'accidents corporels (Cass. 2e civ., 19 juin 2003, n° 01-13.289 et n° 00-22.302). Si la réforme est adoptée, l'indemnisation intégrale ne sera pas remise en cause dans ce cas.

Il est, par ailleurs, envisagé d'ajouter l'amende civile aux sanctions possibles lorsqu'une responsabilité est retenue (art. 1266-1). Elle aurait vocation à s’appliquer dans le cas où un responsable aurait délibérément commis une faute lucrative, c’est-à-dire lui rapportant plus qu’elle ne lui coûterait en réparation des préjudices. Le montant de cette amende serait versé à l’Etat ou à des fonds d’indemnisation, et non à la victime, pour éviter toute dérive vers des enrichissements injustifiés.

Au nombre des innovations du projet, on peut également citer l'introduction dans le code civil du régime de réparation en nature (art. 1260 et 1261), la possibilité de prévoir des clauses d'exclusion ou de limitation de responsabilité en matière extracontractuelle (art. 1281), la protection renforcée des victimes de dommages corporels (art. 1267-1 et s.), la suppression de la possibilité, pour un tiers payeur, de récupérer auprès du responsable les prestations versées à la victime au titre de ses préjudices personnels (art. 1277), l’intégration dans le code civil des dispositions de la loi Badinter du 5 juillet 1985 (art. 1285 et s.). Le sort des conducteurs victimes, jusque-là exclus de la protection offerte par la loi serait amélioré : seule leur faute inexcusable pourrait réduire ou exclure leur indemnisation, sans, toutefois, exiger qu’elle soit la cause exclusive de l’accident (art. 1287).

 

Marie-Christine Pelras, Dictionnaire permanent Construction et urbanisme

 

Formations qui pourraient vous intéresser

tealium