Responsabilité de l'agent immobilier en présence d'une servitude découverte après la vente

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Lorsqu'en raison de ses négligences, l'intermédiaire titulaire d'un mandat de vente n'a pas informé l'acquéreur de l'existence d'une servitude rendant l'immeuble acheté impropre à la destination envisagée, il commet une faute délictuelle entraînant la perte de sa rémunération.

Des acheteurs ont signé « un compromis de vente ferme » concernant un terrain avec villa, par l'intermédiaire d'une agence immobilière titulaire d'un mandat exclusif de vente, moyennant un prix sur lequel ils ont versé un acompte dont l'agence a été instituée séquestre. Le terrain s'étant avéré d'une surface inférieure à celle annoncée et frappé d'une servitude non aedificandi, les acquéreurs, invoquant des manquements de l'agent immobilier à ses obligations d'efficacité, d'information et de conseil ont, après réitération de la vente en la forme authentique, refusé de lui régler la commission de 30 000 euros convenue.

Assignés en paiement par le professionnel, ils ont demandé, à titre reconventionnel, la réduction de la commission, l'allocation de dommages-intérêts et la restitution de l'acompte conservé par l'agent immobilier. Déboutés sur ces trois points par la cour d'appel, les acheteurs forment un pourvoi qui aboutit ici à un arrêt de cassation de la Haute juridiction.

Pour dire qu'il n'y a pas lieu de réduire la commission due à l'agence, l'arrêt d'appel a retenu d'une part que cette rémunération, fixée conventionnellement, est la loi des parties et qu'il n'appartient pas à la cour de la modifier, et d'autre part, que cette stipulation n'étant pas une clause pénale, son montant ne peut être modifié. La Cour de cassation censure ce raisonnement au visa des articles 6, I de la loi Hoguet du 2 janvier 1970 et 1999 du code civil. En effet, l'ouverture du droit à rémunération de l'agent immobilier, dans les conditions impératives de la loi Hoguet, ne fait pas obstacle au pouvoir que le juge tient du code civil, de réduire, voire de supprimer cette rémunération, en considération des fautes que l'intermédiaire a commises dans l'exécution de sa mission. Certes dans cette affaire, l'agent immobilier titulaire d'un mandat de vente exclusif en bonne et due forme, a trouvé des acquéreurs, a mené à bien les négociations et fait signer un compromis de vente aux parties qui l'ont réitéré par acte authentique, ce qui lui ouvre droit au paiement de sa commission. Mais la jurisprudence de la Cour de cassation est drastique avec les mandataires et abonde depuis longtemps d'exemples de fautes ayant privé l'agent immobilier de sa rémunération. Cela va de l'intermédiaire qui omet de faire enregistrer une promesse unilatérale de vente, à celui qui manque à son devoir de conseil pour des opérations risquées. Or, le mandataire qui néglige de vérifier si un terrain est grevé d'une servitude empêchant l'acquéreur de lui donner la destination prévue est une faute qui peut le priver de toute rémunération en application du pouvoir de contrôle et de révision des juges du fond, en considération des circonstances particulières de la cause ou des manquements que le professionnel a pu commettre dans l'exercice de sa mission (Cass. 1re civ., 5 mai 1971, n° 70-10.918 : Bull. civ. I, n° 147 ; Cass. 3e civ., 20 déc. 1971, n° 70-12.467 : Bull. civ. III, n° 636 ; Cass. 3e civ., 1er mars 2011, n° 10-10.442). C'est ce que rappelle ici la Cour de cassation.

La demande en dommages-intérêts des acquéreurs en réparation de la révélation tardive de la servitude non aedificandi a aussi été rejetée en appel. Les juges du fond ont estimé qu'en l'absence de mandat conclu avec l'agent immobilier, il ne peut y avoir de manquement contractuel de sa part et que, faute d'avoir exigé l'insertion, dans la promesse synallagmatique de vente, d'une condition suspensive supplémentaire, subordonnant la vente à la délivrance d'un certificat d'urbanisme révélant la possibilité de construire une autre maison, les acheteurs ne peuvent pas non plus se prévaloir d'une manquement délictuel. Ce point de la décision d'appel est également censuré, l'interdiction de construire résultant, non de contraintes d'urbanisme mais d'une servitude conventionnelle. La juridiction du second degré aurait dû rechercher si les vérifications auxquelles l'agent immobilier était tenu de procéder pour assurer l'efficacité juridique de la convention, telle que la consultation du titre de propriété du vendeur, auraient révélé l'existence de cette servitude et, dans l'affirmative, si cette charge réelle grevant l'immeuble était de nature à affecter l'usage normalement attendu, ou annoncé, de l'acquisition. L'agent immobilier est en effet tenu d'un devoir de conseil et de diligences, non seulement à l'égard de son mandant, mais vis-à-vis de toutes les parties à l'opération conclue par son entremise. La méconnaissance de ce devoir peut par conséquent être invoquée par l'acquéreur du bien immobilier, même s'il n'a pas été partie au mandat de vente, et engager alors la responsabilité civile délictuelle de l'agent sur le fondement de l'article 1382 du code civil (Cass. 1re civ., 25 nov. 1997, n° 96-12.325 : Bull. civ. I, n° 321).

La Haute juridiction casse également l'arrêt de la cour d'appel qui refuse aux acquéreurs, sans donner aucun motif, la restitution par l'agent immobilier, qui l'a conservé en paiement de sa commission, de l'acompte versé sur le prix de vente. En s'abstenant ainsi de rechercher si l'agent immobilier ne s'était pas rendu coupable d'un manquement professionnel, en persistant à retenir les 20 000 euros séquestrés entre ses mains au moment de la signature du compromis de vente, à titre d'acompte sur le prix de vente, pour l'affecter à la garantie du paiement de sa propre commission, et en tout état de cause, en rejetant la demande de restitution de cet acompte sans le moindre motif de nature à justifier ce refus, la cour d'appel prive son arrêt de base légale au regard de l'article 455 du code de procédure civile selon lequel toute décision doit être motivée.

La Cour de cassation censure donc l'arrêt du second degré dans toutes ses dispositions et renvoie les parties, pour être fait droit, devant une autre cour d'appel. La décision de la cour de renvoi sera importante à suivre, notamment en ce qui concerne le cumul des condamnations de l'agent immobilier découlant du principe de la réparation intégrale du dommage. Il pourrait en résulter que la personne qui, en raison des négligences commises par un agent immobilier à ses obligations de conseil et de diligences, a été conduite à acquérir un bien impropre à l'usage auquel elle le destinait, et qui subit de ce fait un préjudice certain, peut cumulativement prétendre, à l'encontre du professionnel, à la réduction voire la perte du montant de la commission d'agence, à la restitution des sommes séquestrées à titre d'acompte sur le prix de vente et à l'octroi de dommages-intérêts, sauf à tenir compte le cas échéant, de l'avantage résultant de la réduction judiciaire du montant de la commission.

Laurence Dartigeas-Reynard
Dictionnaire permanent Transactions immobilières

© Editions Législatives 2016

 

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