Le cahier de jurisprudence des DP : liberté d'expression, prime annuelle, rupture conventionnelle

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Un exercice efficace du mandat de délégué du personnel exige de développer de solides connaissances des règles du droit du travail. Pour vous y aider, nous sélectionnons chaque mois la jurisprudence relative à vos domaines de compétence. Voici ce qu'il faut retenir des arrêts rendus en janvier.

Nous continuons en 2019 de vous présenter chaque mois de manière synthétique les arrêts susceptibles d'être utiles à votre mandat de délégué du personnel. Pour plus de facilité de lecture nous les avons classés par thèmes : contrat de travail, rémunération, rupture du contrat, statut collectif.

Rappelons en préalable que face au CE et aux délégués syndicaux, les délégués du personnel ont un rôle spécifique. D'après l'article L. 2313-1 du code du travail, ils ont pour mission :

1°) de présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l'application du code du travail et des autres dispositions légales concernant la protection sociale, la santé et la sécurité, ainsi que des conventions et accords applicables dans l'entreprise ;
2°) de saisir l'inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l'application des prescriptions législatives et réglementaires dont elle est chargée d'assurer le contrôle.

 

Quel sort pour les missions des DP au sein du CSE?
D'ici la fin de cette année, les délégués du personnel devront avoir définitivement disparu au profit du comité social et économique (CSE). Mais les ordonnances travail préservent au bénéfice de la nouvelle instance unique, dès le seuil de 11 salariés, l'essentiel des prérogatives attribuées aujourd'hui aux DP. Chercher à apprécier, en tant qu'élu du personnel, une situation de travail au regard des règles de droit reste donc un impératif.

Contrat de travail : retour à un horaire de jour, liberté d'expression

Il n'est pas rare que les DP soient saisis de difficultés liées à l'application du contrat de travail. Il s'agit pour vous d'identifier si la réclamation du salarié apparaît justifiée et de rappeler à l'employeur ses obligations légales.

 

► Un ambulancier signe en 2007 un avenant à son contrat de travail prévoyant qu'il pourra dorénavant effectuer des permanences de nuit. En contrepartie, le salarié perçoit d'abord une prime mensuelle de 200 euros, portée à 699 euros à compter du 1er décembre 2010. En novembre 2012, l'ambulancier est informé qu'il sera dorénavant intégré aux équipes de jour et que sa prime pour permanences de nuit est supprimée. Le salarié refuse par courrier ce qu'il considère être une modification de son contrat de travail et, en réaction à la décision de la direction de lui imposer ce changement, saisit les juges d'une demande de résiliation judiciaire du contrat. Le salarié obtient gain de cause : "Le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit, ou d'un horaire de nuit à un horaire de jour, constitue une modification du contrat de travail qui doit être acceptée par le salarié", énonce la Cour de cassation (lire l'arrêt).

► À la suite du décès de l'associé majoritaire d'un cabinet d'expertise-comptable, un conflit éclate entre le nouveau gérant du cabinet, associé minoritaire, et la famille de l'ancien gérant. Dans le cadre du procès, l'assistante comptable du cabinet, en poste depuis 12 ans, rédige une attestation très négative sur son nouvel employeur. La salariée est immédiatement licenciée pour faute lourde, au motif d'un abus dans sa liberté d'expression. La cour d'appel écarte d'abord l'existence de toute faute et plus particulièrement l'existence de propos homophobes et haineux au sein de l'attestation "dès lors que la salariée relate avoir été choquée par la place donnée par le nouveau gérant à son compagnon (âgé de 20 ans), au sein du cabinet, dont il est devenu salarié et nommé à un poste important de responsable du personnel" et exprime simplement "une gêne (...) légitime au regard d'attitudes privées exposées sur le lieu de travail". Mais c'est faire abstraction, rétorque la Cour de cassation, que l'assistante comptable présente dans son attestation "le gérant comme un personnage mythomane, manipulateur et voleur qu'il faudrait empêcher de nuire à la société et qui n'a pas sa place au sein de l'ordre des experts-comptable dont il devrait être radié". Sans se prononcer sur le degré de gravité de la faute, l'abus à la liberté d'expression apparaît ici qualifié pour la Haute juridiction (lire l'arrêt).

Rémunération : preuve des heures supplémentaires, prime annuelle d'objectifs

Le rôle du DP, c'est notamment de relayer auprès de l'employeur les réclamations individuelles et collectives relatives au salaire. S'intéresser à la jurisprudence en la matière peut vous aider à appuyer les demandes qui vous apparaissent légitimes.

 

► À l'occasion de sa démission, le responsable du recrutement d'une agence de recouvrement de factures réclame à son employeur près de 45 000 euros au titre d'heures supplémentaires non payées. Le salarié produit en justice un décompte récapitulatif de ses heures supplémentaires sur la base d'une durée de travail hebdomadaire de 47,5 heures de mai à décembre 2009, et un décompte faisant ressortir globalement mois par mois les heures supplémentaires de janvier 2010 à mai 2012. En défense, l'employeur s'attèle à démontrer l'existence de plusieurs erreurs ou incohérences dans les relevés du salarié pour que la demande soit totalement écartée. En vain. Dès lors que le salarié présente des éléments de nature à étayer sa demande en paiement d'heures supplémentaires, c'est à l'employeur qu'il revient de justifier les horaires effectivement réalisés par le responsable du recrutement (lire l'arrêt).

► Licencié pour faute gave en mai 2011, un responsable commercial réclame le paiement de sa prime d'objectifs 2011 au prorata temporis, autrement dit au titre de son activité pour les cinq premiers mois de l'année. La réponse des juges est claire : le contrat de travail subordonne le versement de la prime annuelle d'objectifs à la condition qu'au 31 décembre de l'année le salarié ait atteint les objectifs fixés. Dès lors, faute d'usage ou de stipulation contractuelle en ce sens, le salarié qui quitte la société en cours d'année ne peut prétendre à un versement de cette prime prorata temporis (lire l'arrêt).

Rupture du contrat : avertissement injustifié, mise à pied, rupture conventionnelle

Pourquoi, en tant que DP, s'intéresser au contentieux du licenciement disciplinaire ? Tout simplement parce qu'un salarié convoqué par l'employeur à un entretien préalable de licenciement ou qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire a le droit de se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise (articles L. 1232-4 et L. 1332-2 du code du travail). Or il est fréquent que le salarié menacé demande à un délégué du personnel de l'assister et des conseils.

 

► En réaction à un avertissement disciplinaire notifié en septembre 2013, la directrice d'un établissement d'une association de l'action sociale prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur et réclame 30 000 euros de dommages et intérêts. Elle reproche le caractère injuste et choquant des accusations portées par la directrice générale à son encontre, en particulier :

  • l'absence de remplacement du surveillant de nuit de la maison d'accueil spécialisé le 1er juillet 2013, ce qui a entraîné la mise en danger des résidents. Sur ce point la directrice d'établissement démontre qu'elle a été confrontée à une absence de dernière minute de la surveillante initialement prévue et qu'aucun moyen humain ou financier n'a été mis à sa disposition pour pallier les absences non prévues des surveillants.
  • l'absence de réparation du système d'ouverture des volets par temps de forte chaleur, ce qui a occasionné pendant trois semaines l'été une mise en danger des résidents. Là encore, il est fait la démonstration que le problème était connu de longue date de la direction générale et que ces réparations avaient été repoussées faute de budget.

Les juges d'appel, confortés par la Cour de cassation, constatent alors que "l'employeur a injustement reproché des carences à la salariée et que la remise en cause des compétences de cette dernières et des actions menées par elle était destinée à la blesser". Un tel manquement de l'association est jugé suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et faire produire à la rupture du contrat les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (lire l'arrêt).

► Deux jours à peine après son retour d'un arrêt de travail de six mois, un chargé d'affaires se voit notifier une mise à pied conservatoire par lettre du 28 août 2013. Le 5 septembre, le salarié est convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et est effectivement licencié le 20 septembre. Mais pour les juges, cette procédure n'a pas été correctement conduite : "L'employeur a notifié au salarié sa mise à pied sans avoir engagé concomitamment la procédure de licenciement qui n'a été engagée que huit jours plus tard", relèvent-ils. Il en est déduit que la mise à pied, présentée comme conservatoire, est en réalité une mise à pied disciplinaire (ce qui exclut une deuxième sanction pour la même faute) (lire l'arrêt).

► Un agent administratif et commercial d'une société de surgelés conclut une rupture conventionnelle de son contrat de travail. Quelques semaines plus tard, il demande l'annulation de la convention au motif que sa signature est intervenue dans un contexte de harcèlement moral. "En l'absence de vice du consentement, l'existence de faits de harcèlement moral n'affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture", justifie la Cour de cassation pour débouter le salarié de sa demande. Autrement dit, si le harcèlement moral peut être à l'origine d'un vice du consentement qui justifierait d'annuler la rupture conventionnelle, le salarié ne peut pas faire l'économie de démontrer que son consentement a effectivement été vicié (lire l'arrêt).

Statut conventionnel : renonciation aux avantages collectifs

La loi donne vocation aux DP de présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives "aux conventions et accords applicables dans l'entreprise" (article L. 2313-1 du code du travail)Il est donc important de savoir décrypter la conformité des règles collectives imposées aux salariés.

► Un menuisier, salarié depuis 1975 des Houillères des charbonnages, bénéficie du statut du mineur instauré par décret de juin 1946 et par conséquent d'indemnités de logement et de chauffage à vie. En 2005, le salarié conclut avec l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) un contrat prévoyant le rachat anticipé de ses indemnités de logement et de chauffage moyennant le versement d'un capital de 48 500 euros. Sept ans plus tard, en 2012, le menuisier alors en retraite demande en justice l'annulation de ce contrat de rachat de ses aides au logement et chauffage. À tort, selon la Cour de cassation, qui déclare l'action tardive : "La nullité d'une convention résultant de la violation de l'interdiction pour un salarié de renoncer, tant que son contrat de travail est en cours, aux avantages qu'il tire d'une convention collective ou de dispositions statutaires d'ordre public, est une nullité relative qui se prescrit par cinq ans", est-il énoncé (lire l'arrêt).

 

Julien François
Rédacteur pour ActuEL CE

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