Le CHSCT face au Harcèlement moral : quelques exemples récents

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Plusieurs jurisprudences récentes font le point sur les obligations de l’employeur vis-à-vis de la prévention et du traitement des situations de harcèlement moral. L’occasion de revenir sur ce sujet qui préoccupe souvent les membres du CHSCT.


Le harcèlement moral au travail est une plaie – comme toutes les formes de harcèlement (sexuel, scolaire, etc.) ou, plus généralement, de violences. Il a des conséquences destructrices pour les salariés et agents qui en sont victimes (dépression profonde et durable, perte d’emploi, etc.) mais il est également néfaste pour l’entreprise.

Il est évidemment interdit par la Loi depuis 2002 mais cela n’empêche pas le phénomène de continuer à se produire, d’autant que les auteurs d’agissements de harcèlement n’ont pas toujours un profil « pervers » ni l’intention de nuire… Comme le harcèlement peut se produire potentiellement n’importe où, n’importe quand et avec n’importe qui, comment prévenir et gérer ce phénomène ?
 

Rappel : les bases juridiques concernant le harcèlement moral au travail

Le Code du travail interdit les agissements constitutifs de harcèlement moral : « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (C. trav., art. L. 1152-1).

La jurisprudence a montré que deux agissements suffisent, répétés par exemple à deux semaines d’intervalle, par exemple : deux avertissements injustifiés accompagnés d’allusions blessantes (Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-44062). De son coté, le Code pénal punit le harcèlement moral de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende (Art. 222-33-2).

Et, en toute logique :

  • L’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires à la prévention du harcèlement moral (C. trav., art. L. 1152-4) ;
  • Aucun salarié ne doit subir de tels agissements, ni être sanctionné pour en avoir témoigné ou les avoir relatés (C. trav., art. L. 1152-2).

 

Les jurisprudences récentes : où en est-on ?

Depuis le 1er juin 2016 et un jugement de la chambre sociale de la Cour de cassation (arrêt n° 14-19.702), les juges ne doivent pas condamner l’employeur sans avoir tenu compte du travail de prévention du harcèlement moral qu’il a réalisé.

C’est un « revirement », c’est-à-dire un changement de la manière de juger les cas de harcèlement moral porté au tribunal (souvent aux prud’hommes). Jusqu’à lors, la règle était assez sévère : dès lors qu’un harcèlement moral survenait et ce, quelque soit la rapidité et l’efficacité avec laquelle l’employeur l’avait traité, ce dernier était condamné pour manquement à son obligation de sécurité de résultat (voir les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation, n° 08-40144 et 08-44019 du 3 février 2010 et n° 11-18855 du 23 janvier 2013).

Désormais, il faut tenir compte des efforts de prévention – quand ils existent et sous réserve que ceux-ci soient susceptible d’être efficaces ! Plus précisément, deux temps de l’action complémentaires se dessinent.

Le premier temps, celui de la prévention proprement dite, repose sur les actions de sensibilisation au harcèlement moral et de formation des acteurs à leur rôles respectifs face à ce phénomène (les représentants du personnel n’ont ainsi pas la même formation que l’encadrement, etc.). Evidemment, la publication d’une politique de tolérance zéro vis-à-vis du harcèlement et plus généralement des violences au travail est également de mise, règlement intérieur et notes de service à l’appui. Toutefois, cela ne suffit pas.

Il faut également – et plus généralement – évaluer, surveiller et prévenir les risques psychosociaux (RPS) dont le harcèlement n’est qu’une des manifestations. Cela engage l’ensemble de l’entreprise dans une démarche d’ampleur qui doit déboucher sur des actions ciblées mais également par la mise à jour du document unique. Enfin, cela semble évident et c’est essentiel, il faut éviter de faire travailler les salariés « en mode dégradé ».

Par exemple, une direction par objectifs non-négociés et jugés intensifs accompagnée de conditions de travail extrêmement difficiles qui se traduisent par la mise en cause injustifiée des méthodes de travail d’un salarié, de dénigrements répétés et de propos insultants proférés en public à son encontre est susceptible d’être reconnu comme une forme de harcèlement moral (Cass. Soc., 27 octobre 2010, n° 09-42488). 


Le second temps est celui de la réaction. En cas de signalement – par une victime ou un témoin –, l’entreprise doit réagir selon une procédure claire, préétablie, non-discrétionnaire et systématique. Les personnes chargées de réaliser l’enquête doivent pouvoir s’appuyer sur une méthode et des ressources (par ex. le médecin du travail, un médiateur, etc.) et faire cesser toute situation de harcèlement le plus rapidement et efficacement possible, notamment en sanctionnant l’auteur(e) le cas échéant.

A noter : la dénonciation de « mauvaise foi » (c’est-à-dire en conscience de la fausseté des faits allégués) de faits de harcèlement est passible de sanctions disciplinaires voire de poursuite pour dénonciation calomnieuse mais pas pour diffamation (Cass. 1re civ., 28 septembre 2016, n° 15-21.823).

La prise en compte de ces deux temps par les juges est bien illustrée par une jurisprudence du 5 octobre dernier (Cass. Soc., n° 15-20.140) : alors que la cour d’appel avait pris en compte les réactions de l’employeur pour faire cesser la situation (sur la base de quoi elle avait donné tort au salarié à l’origine de la procédure), elle n’avait pas recherché s’il avait pris préalablement des mesures de prévention. Or, les juges de la Cour de cassation ont estimés que ce n’était pas le cas – renvoyant de fait l’affaire devant une cour d’appel.

 

Et dans tout cela, que fait le CHSCT ?

Le CHSCT peut s’inspirer de ces deux temps pour calibrer son action.

Premièrement, il peut challenger l’employeur en proposant des actions de prévention en matière de harcèlement moral, de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes (C. trav., art. L. 4612-3) – l’employeur devant motiver sa décision s’il refuse de les mettre en œuvre.

Il peut, par exemple, insister pour que la direction s’exprime clairement sur sa volonté d’interdire et de sanctionner tout agissement de la sorte (et ainsi supprimer toute impunité sur le sujet), informer le personnel de ses droits et devoirs en la matière et veiller à ce que l'encadrement soit en capacité de gérer les conflits pouvant survenir dans les équipes et, notamment, déceler très tôt les prémisses de situations « harcèlogènes ».

Deuxièmement, il peut (doit) remonter à l’employeur les situations susceptibles d’impliquer un harcèlement. Evidemment, ce n’est pas qu’un simple signalement mais une « invitation » à enquêter sur cette situation.

A défaut, les membres peuvent décider de réaliser une enquête conjointe pour risque grave, voire dans les cas les plus dégradés et manifestes, solliciter l’inspection du travail et/ou recourir à un expert pour les aider à faire toute la lumière sur la situation (par exemple, la nécessité d’une expertise a été reconnue dans le cas d’une situation de souffrance au travail liée au comportement méprisant du directeur général et s'analysant en un harcèlement moral, Cour d’appel de Paris, 31 mars 2006, n° 05.19203).

Pour mémoire, l’enquête du CHSCT doit déboucher sur des actions concrètes permettant d’améliorer localement la situation et si possible nourrir plus généralement les actions de prévention à destination de l’ensemble des salariés. Il reviendra à l’employeur d’entreprendre les éventuelles sanctions disciplinaires le cas échéant.

Par Stéphan Pezé
Consultant-formateur Santé et Sécurité au travail
Formateur pour Elegia

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