Le CHSCT et la prévention des harcèlements : des actions de prévention aux cours d’autodéfense

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Des jurisprudences récentes le montrent, le harcèlement en milieu de travail est malheureusement encore d’actualité. L’employeur – mais aussi les personnels des Ressources Humaines [1] – doivent en faire la prévention et réagir très rapidement en cas de signalement pour éviter la mise en cause de leur responsabilité [2]. Le Code du travail dit également explicitement que le CHSCT « peut proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes … Le refus de l’employeur est motivé » (article L. 4612-3). Mais concrètement ? Il est difficile de savoir quand et sur qui ces formes de violence risquent de tomber. En ce cas, quelles « actions de prévention » proposer ? Voici quelques pistes et notamment une réflexion qui prend pour appui un ouvrage d’Irene Zellinger sur l’autodéfense.

Les harcèlements : de quoi parle t- on ?

Il existe dans le code du travail deux formes de harcèlement : moral et sexuel. A cela s’ajoute la notion récente d’agissements sexistes :

  • Le « harcèlement moral » consiste en des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d’altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l’avenir professionnel du personnel (L. 1152-1) ;
  • Le « harcèlement sexuel » comporte deux formes : soit (1) des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui portent atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ou créent à l’encontre du personnel une situation intimidante, hostile ou offensante ; soit (2) toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers (L. 1153-1) ;
  • Enfin, les « agissements sexistes » introduits dans le code du travail à l’occasion de la promulgation de la « Loi travail » en août 2016, sont tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant (L. 1142-2-1).

Les représentants du personnel au CHSCT peuvent légitimement évoquer ces trois formes de violence en CHSCT. L’instance « suscite toute initiative » qu’elle estime utile dans la perspective de leur prévention (L. 4612-3). Voyons désormais quelles actions peuvent être entreprises à ce sujet.

La prévention : des actions sur trois niveaux

La prévention, c’est autre chose que la gestion de la crise : c’est tout faire pour que jamais, nul part, personne ne soit victime de violences et de harcèlements au travail. En tout cas, c’est le but de la prévention dite PRIMAIRE : l’élimination des facteurs de risque. C’est par exemple lutter contre les irritants qui peuvent entraîner des tensions et conflits (ne pas consulter celles et ceux qui sont concernés par une décision ; laisser subsister des imprécisions sur les rôles ou tâches à réaliser entre plusieurs personnes ou services, etc.) ou encore éviter les lieux de travail isolés. Il s’agit de principes généraux, notamment managériaux, qui peuvent être complétés par de actions fortes d’engagement de la direction : par exemple, les représentants du personnel au CHSCT peuvent proposer à l’employeur de communiquer clairement sur le refus de toute forme de violence, sur les procédures et acteurs à solliciter ainsi que sur les droit et devoir de toutes et tous dans l’entreprise, y compris les sanctions associées (par exemple au travers d’une charte ou d’une note de service annexée au règlement intérieur).

Un second niveau de prévention, dite SECONDAIRE, permet d’aider celles et ceux qui sont confrontés à des formes de violences dans le cadre de leur travail – notamment de la part du public – à mieux vivre ces situations. Ce sont de actions qui viennent compléter la prévention primaire ci-dessus, c’est-à-dire qu’elles compensent les facteurs de risque qui n’ont pas pu être supprimés ou réduits en amont et viennent surtout aider le personnel à faire face aux situations dégradées. Les représentants du personnel au CHSCT peuvent ainsi proposer une information et formation des salariés (reconnaître les signes avant-coureurs, désamorcer la spirale du conflit, savoir se protéger, etc.) ou encore un aménagement des lieux et postes de travail pour assurer une certaine distance et protection. En complément, des actions peuvent être destinées au public : l’éducation aux pratiques respectueuses et civiques, l’affichage clair des sanctions des comportements jugés inacceptables (et des poursuite envisageables).

Enfin, la prévention dite TERTIAIRE permet de prendre en charge les victimes de violence [3]. Les actions correspondantes sont (1) la proposition d’actions de prise en charge (procédure de gestion des signalements par une cellule d’écoute, numéro vert, recours à un psychologue clinicien, etc.) et, en cas de crise, (2) l’alerte immédiate de l’employeur (ou de la « cellule » prévue à cet effet), l’éventuelle enquête du CHSCT, le déclenchement d’une réunion extraordinaire voire le recours à un expert pour risque grave.

Pour aller plus loin : quid de « cours d’auto-défense » contre les violences au travail ?

En lisant l’excellent et nécessaire ouvrage d’Irene Zellinger [4] intitulé « NON C’EST NON. Petit manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire », je me demande si l’on ne peut pas aller plus loin. Je m’explique : identifier les salariés et agents en contact avec un public potentiellement violent (patients, clients, usagers, délinquants, etc.) se réalise lors de l’évaluation des risques professionnels en vue de l’établissement ou de la mise à jour du document unique. Ces « facteurs de risque » permettent de délimiter les contours d’une prévention primaire, secondaire et tertiaire assez ciblée. Mais que faire des autres formes de violence internes (entre membres du personnel) ou entre donneur d’ordre et sous-traitants, pas nécessairement physiques ni manifestes, émanant parfois de « personnalités difficiles » (le fameux pervers narcissiques) mais aussi des autres collègues aux profils visiblement plus « normal » ? Bref, comment protéger de ces formes de violences ordinaires, notamment sexistes, qui n’ont pas leur place en milieu de travail mais qui existent sans que l’on puisse prévoir à l’avance le moment, le lieu, l’auteur (ou les auteurs) ni la ou les victimes ?

C’est là que l’idée de cours d’autodéfense survient. Il ne s’agit pas tant de savoir se défendre physiquement (enfin pas en premier lieu). En effet, selon I. Zellinger : « A la mention du mot « autodéfense », la plupart des gens pensent uniquement à la défense physique, et à une agression commise par un inconnu. Or l’autodéfense féministe est beaucoup plus vaste : elle propose des outils pour prévenir les transgressions de limites de toutes sortes, y compris le harcèlement, les agressions physiques et sexuelles. » Ainsi, toujours selon Irene Zellinger, les objectifs d’une telle démarche sont :

  • « augmenter sa confiance en soi, connaître ses limites, comprendre que l’on vaut la peine de se défendre et que l’on en a le droit ;
  • repérer des situations potentiellement dangereuses, les évaluer et choisir sa stratégie en fonction des circonstances ;
  • poser ses limites face à tout ce qui est désagréable et évitable ;
  • se protéger et se défendre par tous les moyens contre les agressions que l’on n’arrive pas à désamorcer en amont. »

En milieu de travail, cela signifie que les représentants du personnel au CHSCT peuvent proposer des actions de sensibilisation au cours desquelles le personnel aurait l’occasion de dialoguer sur ce sujet (ce qui est déjà bénéfique puisque ce sujet reste assez tabou), de mieux connaître ses droits et ses devoirs, le cadre légal et judiciaire mais aussi et surtout d’apprendre à réagir en cas de propos ou de comportements déplacés : immédiatement en adoptant une stratégie vis-à-vis de l’agresseur pour se faire respecter et se protéger (par exemple en fuyant ou demandant de l’aide – certaines stratégies sont individuelles, d’autres collectives d’où l’idée de sensibilisation globale du personnel) ; ensuite, en signalant par écrit à l’entreprise (direction, RH, hiérarchie, représentants du personnel…) la situation avec les éventuels témoins ; enfin, le cas échéant, en portant plainte (éventuellement soutenu par une organisation syndicale).

Se lancer dans ce type d’action est utile à une prise de conscience individuelle et collective fort utile : on a le droit de réagir et il existe des stratégie efficaces (et en plus, cela peut servir pour les situations de la vie hors-travail !). Pour accentuer l’efficacité de ces sessions, il faudrait envisager une durée d’une demi-journée (a minima) en sous groupes de 10-12 participants pour permettre des mises en situation et jeux de rôle. Enfin, le choix du profil de l’animateur-trice de cette session de sensibilisation doit être soigneux pour permettre de libérer la parole, de faire comprendre que vivre dans la peur, feindre d’ignorer les agressions ou encore réagir violemment ne sont pas les seules options. Les représentants du personnel au CHSCT peuvent s’assurer de l’adéquation de ces sensibilisation en participant à la rédaction du cahier des charges de la formation, à la sélection du prestataire ainsi qu’à une « session test » avant le déploiement sur l’ensemble de l’établissement. En complément, évidemment, l’entreprise ou l’administration dans laquelle ces sessions sont dispensées doit s’engager sur son refus indiscutable de ces comportements et propos violents et démontrer concrètement, quand ces faits sont avérés, qu’elle n’accorde pas (ou plus) l’impunité pour leurs auteurs – quelque soit leur niveau hiérarchique ou importance pour l’organisation – ou encore qu’elle ne gère pas (ou plus) ces situations en déplaçant systématiquement les victimes.

Je prends quelques libertés par rapport à l’ouvrage d’Irene Zellinger car, selon moi, cette action, ces cours d’autodéfense en milieu de travail vont au-delà des violences sexistes et d’un public majoritairement féminin (sans nier que les femmes sont en effet des victimes plus nombreuses de harcèlement sexuel ou d’agissements sexistes). En effet, cela pourrait englober toutes les formes de violence en milieu de travail, y compris celles à caractère sexiste ou sexuel, et être dispensé à tous les agents et salariés. Mais je laisserai le mot de la fin à Irene Zellinger qui considère que cette autodéfense est une réellement une forme de prévention primaire !

Stéphan Pezé
Consultant-formateur Santé et Sécurité au travail
Auteur de « Les risques psychosociaux : 30 outils pour les détecter et les prévenir »,
Collection « Lire Agir » aux Editions Vuibert


[1] Dans son arrêt n° 15-24-406 du 8 mars dernier, la Cour de cassation valide le licenciement d’un RRH, sanctionné pour n’avoir rien fait pour mettre fin à des pratiques managériales inacceptables (humiliations, pressions diverses, etc.) de la part d’un directeur de magasin (elle travaillait étroitement avec ce directeur et avait connaissance de ces pratiques : en sa qualité de professionnelle des RH, elle aurait dû réagir).

[2] Voir par exemple les Newsletters ELEGIA des 10 novembre 2016

[3] A noter que, si ces actions sont nécessaires, on ne voit pas très bien en quoi cela constitue de la « prévention ».

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