Dialogue avec les salariés sur leurs conditions de travail : aller au-delà des apparences

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Au cours d’une mission d’inspection, il est important de dialoguer avec les salariés pour « pendre la température », faire remonter des difficultés, les questions qu’ils se posent ou encore trouver des solutions aux problèmes rencontrés. Mais le dialogue n’est pas si aisé qu’on pourrait le croire : comment être certain de ne rien oublier d’important et d’avoir traité les « vraies » questions de fond ?

L’apparente fausse simplicité du dialogue

En apparence, quoi de plus naturel que d’échanger avec les salariés ? Une discussion ouverte, franche, permet en théorie d’aborder tous les sujets importants. Et pourtant… Plusieurs biais peuvent empêcher l’installation d’un climat de discussion propice au recueil d’informations utiles aux représentants du personnel.

Tout d’abord, le salarié rencontré sait-il à qui il s’adresse ? Le CHSCT n’est pas toujours bien connu ou reconnu ; la visite d’inspection n’a pas forcément été annoncée – ni son objectif d’ailleurs. Les représentants du personnel ne sont pas nécessairement connus et la confusion existe avec leurs éventuels autres mandats (DP ou DS par exemple) voire avec des auditeurs de la direction ; le salarié interrogé peut manquer de temps, etc. Sans savoir exactement à qui l’on parle, pourquoi et ce qu’il adviendra des propos échangés, le salarié va-t-il oser se confier ? C’est-à-dire livrer ses questions, ses problèmes, en toute confiance ? Sans peur d’être sanctionné ou stigmatisé ? Cela ne va pas de soi. Bref, le contexte de la discussion, s’il n’est pas installé, empêche souvent d’initier un échange fructueux. On peut alors quitter la zone inspectée avec le sentiment que « tout va bien » alors que de vrais sujets n’ont pas été abordés.

Ensuite, la réponse donnée par les salariés dépend de la question qui leur est posée ! Une question de type « Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? » n’entraine pas les mêmes développements qu’une formulation comme « Pourriez-vous nous faire un petit bilan de vos conditions de travail ? ». Une attention particulière doit donc être portée aux mots prononcés – mais aussi aux mots reçus. En effet, coté représentants du personnel, est-on bien certain d’avoir tout compris ou même d’avoir bien compris ? Il arrive que l’on plaque (inconsciemment) ses propres interprétations sur le discours des salariés rencontrés. Ainsi, j’ai observé des membres du CHSCT insister, par maladresse, auprès de collègues, en disant : « Mais quand même cette machine, elle est bruyante, cela doit être gênant, non ? » et demander ensuite une insonorisation à laquelle les salariés concernés se sont opposés quand le service maintenance est revenu vers eux plusieurs semaines après (on en conviendra, ce n’est pas optimal du point de vue de la crédibilité du CHSCT).

Récapituler ce qui a été dit et reformuler les propos est une bonne manière de garder ses distances avec la maladresse et de se rassurer sur ce que l’on a compris ou non. Enfin, laisser le salarie s’exprimer sans l’interrompre (en respectant les éventuels silences) ou encore conclure l’échange en expliquant ce qui adviendra des propos échangés (anonymisation, évocation des sujets en réunion de CHSCT, etc.) ne nuit pas à la qualité de la discussion, bien au contraire !

Parler des (vraies) conditions de travail et non juste des irritants du moment

Un autre phénomène couramment rencontré est l’expression par le salarié rencontré de ses irritants du moment. C’est tout à fait normal et souvent sain car la rencontre avec les représentants du personnel est parfois la seule occasion de se confier ou de « vider son sac ». Les problèmes rencontrés sont variés : bruit, chaleur, température, exiguïté, mauvaise ambiance, manque de reconnaissance, etc. Ces sujets sont légitimement du ressort du CHSCT et appellent une analyse en vue d’échanger en réunion sur des pistes d’amélioration possibles. Mais ces « irritants » spontanément évoqués par les salariés épuisent-ils le sujet ? La réponse est non. Pour preuve, quelques questions de relance permettent de prolonger les échanges à la recherche d’autres problèmes, moins fréquents, moins mis en relation avec le travail, etc. et pourtant tout aussi – voire plus – préoccupants.

Ainsi, après le recueil des irritants, j’encourage les membres à relancer la discussion. Et l’on observe bien souvent une seconde séquence dans l’échange alors même que le/la salarié rencontré n’avait visiblement plus rien à dire. L’intensité des échanges ressemble à un profil en « dos de chameau » : une première bosse symbolise les irritants, et l’on peut s’arrêter là car la discussion s’épuise d’elle même. La seconde bosse, c’est l’autre séquence de discussion, tirée par des questions de relance, parmi lesquelles :

  • « Vous arrive-t-il de ressentir des douleurs (cou, poignet, dos, etc.) ? A quel moment de la journée ou semaine ? Après quelle opération ? » (par exemple pour la recherche de TMS – troubles musculosquelettiques)
  • « Certaines opérations sont-elles pénibles/gênantes/fatigantes… ? Quand surviennent-elles ? A quelle fréquence ? D’après-vous quelles en sont les causes ? » (par exemple pour la recherche de RPS – risques psychosociaux)
  • « Quels sont les accidents qui peuvent arriver ? »

En grattant la surface, l’on obtient souvent de belles discussions additionnelles sur des problèmes plus rares mais qui n’en sont pas moins source d’accidents ou de maladies professionnelles potentiels.

Les représentants du personnel sont souvent motivés et pressés d’aller sur le terrain. Mais nous l’avons vu : il y a des pièges à éviter pour établir un dialogue en confiance, où les salariés sont pleinement écoutés et considérés, impliqués et responsabilisés. C’est finalement plus cadré qu’une discussion informelle – nous ne sommes pas loin d’un véritable entretien professionnel – mais il s’avère que c’est à ce prix que le dialogue de terrain est gagnant et que les signaux faibles sont détectés (et donc corrigeables) dans une véritable logique de prévention.

 

Stéphan Pezé
Consultant-formateur Santé et Sécurité au travail
Formateur pour Elegia

Auteur du livre
« Les risques psychosociaux : 30 outils pour les détecter et les prévenir »,
Collection « Lire Agir » aux Editions Vuibert

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