Fusion des IRP : "La pression commence à monter chez nos militants"

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Les syndicats, qui ne savent plus sur quel pied danser au sujet de la réforme des IRP, haussent le ton. "Toutes les thématiques abordées lors des lois Rebsamen et El Khomri sont remises sur la table pour aller encore plus loin. Mais il nous est très difficile de réagir sans texte", explique Gilles Lécuelle, de la CFE-CGC. Si FO distingue "un scénario gris et un noir," la CGT appelle à une journée d'action le 12 septembre tandis que la CFDT croit encore à un compromis

Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s'était prononcé pour une fusion des instances représentatives du personnel (IRP), sauf accord collectif disposant que l'entreprise souhaite conserver des instances séparées. Si l'on en croit Gilles Lecuelle, secrétaire confédéral CFE-CGC en charge du dialogue social, qui a été reçu hier matin au ministère du Travail, le gouvernement semble camper sur cette idée en vue des futures ordonnances. "Cela signifie qu'on inverserait la logique actuelle définie par la loi Rebsamen avec la délégation unique du personnel (DUP) : la DUP s'applique en deçà de 300 salariés mais à partir de ce seuil, il faut un accord collectif pour rapprocher les différentes instances. Là, ce serait le contraire. L'instance unique deviendrait la règle, sauf accord contraire".

Cette hypothèse pose la question du nombre d'élus, de leurs moyens d'actions, ou encore de la possibilité de recourir aux expertises, le rôle du CHSCT -qui peut ester en justice et recourir à l'expertise- étant une question sensible. Mais ces questions de moyens n'ont pas encore été abordées, dit-on à la CFE-CGC comme dans les autres confédérations déjà reçues. C'est pourtant un thème essentiel : "Parler des conditions de travail, des perspectives économiques ou encore des besoins de formation dans une même instance, c'est réduire le débat autour de ces questions à quelques élus".

La négociation ne peut pas échapper aux délégués syndicaux

Plus grave encore aux yeux de Gilles Lecuelle, le ministère du Travail envisagerait, comme d'ailleurs le texte du projet de loi d'habilitation lui en donne la possibilité, d'adjoindre à cette instance unique la capacité de négocier des accords collectifs. Ce serait une ligne rouge pour le syndicat des cadres. "La négociation d'entreprise ne peut pas échapper aux prérogatives des délégués syndicaux. Sinon, cela posera la question du respect des règles de représentativité. Une organisation syndicale qui aurait réalisé plus de 10% des voix dans une entreprise pourrait se voir exclue du champ de la négociation si celle-ci passait sous l'égide d'une instance unique", dénonce le secrétaire confédéral. L'on peut toutefois lui objecter que le DS ferait partie de la délégation unique. Mais le secrétaire confédéral avance un autre argument : le lien entre le délégué syndical et son organisation syndicale (OS) est de nature à protéger le salarié de sa situation de subordination hiérarchique : "Pour protéger son DS, l'OS peut choisir d'assumer à sa place la décision de signer ou de ne pas signer un accord. Ce ne pourrait plus être le cas".

Et si le gouvernement, en contrepartie, cédait à la CFE-CGC au sujet de la gouvernance, en augmentant le nombre de salariés siégeant dans les conseils d'administration, une hypothèse accréditée par le projet de loi d'habilitation ? Cette question n'a pas encore été évoquée avec le ministère, répond le syndicaliste, "mais nous donner un administrateur salarié en plus ne serait pas suffisant pour compenser des mesures très dangereuses". Et Gilles Lecuelle d'ajouter : "Il faudrait déjà mettre en place la reconnaissance et la valorisation du parcours syndical dans l'entreprise".

"Je n'ai pas envie de faire le constat avant l'accident, mais le mur se rapproche"

Reste que la méthode de concertation coupe toujours l'herbe sous le pied des organisations syndicales. "Nous sommes frustrés de n'avoir que des échanges oraux et aucun texte indiquant les intentions du gouvernement, contrairement à ce qui se passe lors d'une négociation interprofessionnelle. Comment intervenir dans un débat sans texte ?" s'interroge le secrétaire confédéral de la CFE-CGC. Qui confie : "Le risque, c'est que la seule réaction possible se fasse dans la rue. Chez nos militants, la pression est en train de monter". Comme en écho, François Hommeril, le président de la CFE-CGC, qui intervenait hier soir lors d'un débat organisé à Paris dans les locaux du Monde sur le CE de demain (*), a lâché à propos des ordonnances sur le droit du travail : "Je n'ai pas envie de faire le constat avant l'accident mais je dois dire que le mur se rapproche". Luc Bérille, de l'UNSA, y est aussi allé de sa formule : "La concertation, c'est bien, mais la vérité des prix, on l'aura avec les ordonnances".

"A la CGT, nous refusons de servir d'alibi ou de faire-valoir"

De fait, les organisations syndicales ne savent plus sur quel pied danser, au point que la CGT dit désormais "refuser de servir d'alibi et de faire valoir". Le syndicat a dénoncé hier soir un simulacre de concertation ainsi qu'un double jeu du gouvernement. La CGT, dont certains syndicats ont déjà commencé à mobiliser, a appelé dans la foulée à une journée d'action et de grève dans toutes les entreprises et les services le 12 septembre. "Le gouvernement envisage de confier à une instance unique du personnel le soin de négocier, cela affaiblirait les capacités d'examen et de contrôle de l'entreprise dont dispose le CE. Une instance unique affaiblirait aussi les attributions du CHSCT", a argumenté Lamia Begin, du bureau confédéral de la CGT. Cette crainte d'une dilution et d'un affaiblissement des missions confiées aux élus du personnel en cas de généralisation d'une instance unique est aussi partagée par François Hommeril, de la CFE-CGC, qui considère néanmoins ne pas pouvoir sortir du processus de concertation du gouvernement : "La personnalité morale de l'instance représentative doit être conservée. Le rapport de forces est l'élément moteur du corps social". Ce dernier a insisté sur l'apport fourni par les experts du CE et du CHSCT : "Les bilans financiers des entreprises sont de plus en plus complexes à lire et à comprendre. Si nous avons un niveau d'éducation de ces questions élevé dans nos sections d'entreprise, on le doit à la formation de nos militants mais aussi à l'action des experts qui les appuient".

"Le tout entreprise, ça peut marcher...dans les très grandes entreprises. Mais ailleurs ?"

Pour l'Unsa, Luc Bérille s'est également interrogé sur la contradiction que représente l'idée de confier l'essentiel à la négociation d'entreprise, au plus près du terrain, tout en voulant couler toutes les entreprises dans "le moule d'une instance unique de représentation du personnel" dont il n'est pas sûr qu'elle représenterait un gain de temps, car traiter dans une réunion de tous les sujets, ce sera long et compliqué, a-t-il souligné. "Le tout entreprise, ça peut marcher...dans les très grandes entreprises. Mais ailleurs ? On ne va pas créer une section syndicale avec quelques salariés pour pouvoir négocier dans une TPE ! D'autre part, il n'est pas sûr, même si le Medef le demande, qu'une instance unique soit applaudie par tous les employeurs. Certains réfléchissent", a grincé Luc Bérille. 

Didier Porte, qui intervenait hier soir pour FO dans le colloque sur l'avenir du CE, a pour sa part jugé que deux scénarios se dessinaient, l'un gris, l'autre noir. Le gris, c'est une instance unique où les prérogatives des CE, DP et CHSCT ne seraient plus délimitées dans leur forme actuelle. L'instance n'organiserait plus son travail en séparant bien les prérogatives de chaque IRP, comme c'est encore le cas -du moins en théorie- avec la délégation unique du personnel (DUP). "Sauf accord contraire, toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, passeraient à cette instance unique", a résumé Didier Porte. Problème : "On demanderait à des élus qui se sont familiarisés pendant des années aux problématiques de sécurité de s'intéresser aux problèmes économiques de l'entreprise, et vice-versa. Ce serait dramatique car les questions économiques prendraient le pas sur les conditions de travail", craint le syndicaliste de FO. Quant au scénario noir imaginé par Didier Porte, il consisterait à reprendre l'idée défendue par le Medef, pendant les négociations sur les IRP qui n'ont pas abouti en 2015, à esquisser un conseil d'entreprise "qui nous ferait aller vers un système de cogestion" qui amalgamerait les prérogatives de négociation des délégués syndicaux. "Que deviendraient les DS ? Et les NAO ?" interroge le secrétaire confédéral de FO. 

"Si le travail réel est remis au coeur des discussions, ce sera une avancée"

Marylise Léon, pour la CFDT, a pour sa part tracé, en filigranne, ce qui pourrait ressembler à un compromis. Si l'instance unique permet de remettre le travail réel au coeur des discussions entre la direction et les représentants du personnel et si la gouvernance permet une meilleure représentation des représentants du personnel dans les conseils d'administration, alors, a-t-elle lancé, ce sera "une avancée". "Nous avons mis un pied dans la porte des conseils d'administration en 2013 et nous avons réussi en 2015 à faire abaisser le seuil. Mais 1 000 salariés, c'est encore trop élevé. Il doit être abaissé, ce qui suppose de notre part de former davantage de militants", a estimé la responsable confédérale CFDT du dialogue social. Mais les termes d'un tel deal semblent encore flous et déséquilibrés.

Il semble que le gouvernement balance encore, entre un rapprochement des différentes instances dans la continuité de la loi Rebsamen, et une fusion plus radicale comprenant peut-être la possibilité donnée aux entreprises, sous forme d'accord, de conférer à l'instance un pouvoir de négociation, une meilleure représentation des salariés dans les conseils d'entreprise venant en contrepartie. A suivre. 

(*) L'initiative de ce colloque intitulé "Quel CE pour demain ?", organisé hier à Paris, provient de huit entreprises et associations de l'économie sociale et solidaire qui sont aussi des prestataires des comités d'entreprise : le groupe Up (chèques déjeuner, chèques cadeaux, etc.), Cezam (réseau des associations inter-CE), les cabinets d'expertise Technologia, Syndex et Inalyst, le salon Eluceo, l'Unat (association des acteurs du tourisme social et solidaire), l'Ancav-tt (association nationale de coordination des activités de vacances). Certains de ces prestataires sont inquiets d'un risque de fiscalisation des activités sociales et culturelles, quand d'autres redoutent une remise en cause des expertises CE et CHSCT, tous partageant la peur de voir le CE ne plus définir de façon volontariste et autonome sa politique sociale pour s'en remettre aux seules propositions marchandes.

 

Bernard Domergue
Rédacteur en chef du quotidien actulEL-CE

Secrétaire confédéral chargé du dialogue social à la CFE-CGC

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