Le sexisme ordinaire au travail : une espèce en voie de disparition ?

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L’affaire Harvey Weinstein et la cascade de révélations qui s’en est suivie est le signe d’un changement d’époque. Le nombre et l’intensité des réactions (internationales) suscitées par cet événement peuvent être mis en relation avec la volonté du Président de la République de faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes. En effet, les comportements au sein de nos organisations, administrations ou entreprises sont de plus en plus scrutés sous ce prisme, y compris sur des agressions de moindre ampleur que les viols qui sont reprochés à l’ex producteur américain. Pour le dire autrement : au-delà du harcèlement moral et sexuel, c’est le (encore trop grand) degré d’acceptation d’un sexisme ordinaire sur le lieu de travail qui est aujourd’hui en train de vaciller. Petit tour d’horizon de ce sujet qui préoccupe généralement les représentants du personnel.

Une prise de conscience collective bien tardive

Encore trop souvent, le sexisme ordinaire est nié ou minimisé, comme si ces violences étaient naturelles ou acceptables. Pourtant, c’est une forme de violence au travail basée sur le genre. Nul doute que les préjugés ou idées reçues sur les différences et rapports entre êtres humains nourrissent ce sexisme ordinaire. L’éducation, les médias, la culture (certains jeux vidéo par exemple) transmettent encore parfois une vision stéréotypée selon laquelle les êtres humains seraient différents et auraient donc des compétences différentes du seul fait de leur sexe… entretenant donc des propos, geste et décisions – consciemment ou non – discriminatoires, défavorisant principalement les femmes.

Les chiffres sont alarmants. Une enquête de 2015 auprès de 15 000 salariés révélait que 80 % des femmes sont régulièrement confrontées, dans le monde du travail à des attitudes ou décisions sexistes (47 % déclarent ainsi être victimes de discours avilissants, d’être interrompues ou ignorées quand elles prennent la parole, etc.). 42 % sont mal à l’aise quand complimentées sur leur tenue ou leur apparence et 80 % se sentent en insécurité face à des blagues sur les femmes – l’un des véhicules les plus utilisés pour être sexiste tout en le déguisant en « humour ». Pour les manageuses, c’est 40 % d’entre elles qui estiment que l’on a à leur égard des attentes spécifiques liées à leur sexe (avoir une grande écoute, etc.), donc basées sur des stéréotypes. Et l’on ne parle pas ici des écarts de rémunération ou des représentations disproportionnées en faveur des hommes à des postes d’encadrement et de direction.

Bref, le sexisme qui s’ignore est une réalité bien connue qui est enfin questionnée, notamment en miroir des affaires médiatiques récentes. Pour preuve de sa récente émergence en tant que problématique sociétale, l’interdiction des « agissements sexistes » introduite dans le code du travail à l’occasion de la promulgation de la « Loi Rebsamen » en août 2015 (voire l’article L. 1142-2-1 qui les définit comme « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant »).

Que faire ?

Le remède passe par chacun d’entre nous : si l’on dit quelque chose à une personne, il faudrait que la tournure de la phrase puisse être utilisée pour n’importe quel genre ; il faut veiller à éviter tout humour sexiste (même s’il s’agit « d’une simple blague ») ainsi qu’aux surnoms de type « cocotte », « poulette », etc. Mais cela ne suffit sans doute pas.

Il faut également donner au sexisme le statut juridique qui est le sien : un risque professionnel à part entière qu’il faut obligatoirement évaluer (dans le document unique d’évaluation des risques), prévenir et gérer par des mesures et actions concrètes visant l’efficacité. A l’échelle de l’organisation, cela peut passer par une politique claire visant à intégrer la lutte contre le sexisme dans le règlement intérieur (en définissant la liste des agissements prohibés et les sanctions associées). L’intégration d’objectifs d’égalité et de réduction des discriminations sont également nécessaires dans le dialogue social mais aussi plus généralement dans les procédures de gestion RH (rémunération, promotion, recrutement, etc.).

En complément, dans le registre des actions de communication, on peut rechercher à accorder systématiquement les messages diffusés (écrits, oraux, ou dans le choix des images) mais aussi les titres et fonctions des salariés aux deux sexes (manageur et manageuse par exemple), pour liquider les stéréotypes. Sur ce point, la récente invitation du Premier ministre, par circulaire, à ne pas faire usage de la communication dite inclusive dans les services de l’état et de l’administration ne paraît pas aller dans le sens d’une lutte contre les préjugés…

La sensibilisation de l’ensemble du personnel et de l’encadrement est également fondamentale. On peut aussi imaginer des sensibilisations ou formations innovantes donnant les clés d’une auto-défense. Ces formations sont aussi l’occasion de dialoguer sur ce sujet (ce qui est déjà bénéfique puisque ce sujet est encore trop souvent dénié ou minimisé), de permettre à chacun de mieux connaître ses droits et ses devoirs, le cadre légal et judiciaire, mais aussi et surtout d’apprendre à réagir en cas de propos ou de comportements déplacés. Au-delà du bénéfice en terme de prise de conscience, ces actions permettent d’armer l’entreprise pour faire face au sexisme. La route est longue pour une plus grande égalité et ces actions pour prévenir et gérer le sexisme ordinaire, forme de violence devant être reconnue comme risque professionnel, en est l’une des multiples ramifications.

De leur côté, les représentants du personnel peuvent conseiller les salariés en recommandant d’adopter certaines stratégies pour se faire respecter et se protéger des collègues aux remarques et gestes déplacés (par exemple en fuyant ou demandant de l’aide – certaines stratégies sont individuelles, d’autres collectives d’où l’idée de sensibilisation globale du personnel) ; ensuite, en signalant officiellement la situation avec les éventuels témoins, par écrit, à l’entreprise (direction, RH, hiérarchie, représentants du personnel…) ; enfin, le cas échéant, en portant plainte (avec un soutien éventuel d’une organisation syndicale).

Ps. On peut aussi revisiter le sexisme ordinaire avec humour dans une courte vidéo – c’est drôle, mais ça fait aussi réfléchir.

 

Stéphan Pezé
Consultant-formateur Santé et Sécurité au travail
Formateur pour Elegia

Auteur de « Les risques psychosociaux : 30 outils pour les détecter et les prévenir »,
Collection « Lire Agir » aux Editions Vuibert

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