Focus sur l’indépendance et les nouveaux pouvoirs répressifs des agents de contrôle de l’inspection du travail au 1er juillet 2016

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L’ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 relative au contrôle de l’application du droit du travail a été prise sur le fondement de l’article 261 de la loi Macron du 6 août 2015 portant sur « la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ». Cette ordonnance a reçu application via les dispositions du décret n° 2016-510 du 25 avril dernier.

Cette ordonnance, de façon globale, a opéré un « toilettage » du Code du travail et du Code rural et de la pêche maritime, afin de remplacer les termes d’inspecteur du travail et de contrôleur du travail par la notion « d‘ agents de contrôle de l’inspection du travail mentionnés à l’article L8112-1″.

Ladite ordonnance est le point final de la réforme du système de l’inspection du travail qui a été initiée en 2014. Cette nouvelle organisation basée sur une régionalisation des services de l’inspection du travail a été adoptée dans une logique d’efficacité de lutte contre la concurrence déloyale, le travail illégal ou encore le travail dissimulé.

Cette ordonnance de 2016 vise à renforcer les prérogatives du système d’inspection notamment en améliorant les moyens d’interventions et modes d’investigations lors des contrôles.

A cet égard, l’ordonnance prévoit notamment de :

  • Prolonger les dispositifs d’arrêt temporaire de travaux et d’activité ;
  • Faciliter l’accès aux documents de l’entreprise ;
  • Renforcer les moyens de recours à une expertise technique et à des diagnostics pertinents en matière de santé et de sécurité au travail.

L’ordonnance revient également sur les modes de sanctions en matière de droit du travail. En effet deux régimes de sanctions sont mis en place à savoir des sanctions administratives et des sanctions pénales.

Ainsi, les sanctions administratives offrent la possibilité à l’administration de prononcer des amendes des lors qu’il est constaté un manquement aux dispositions du code du travail.

Quant aux sanctions pénales, celles-ci permettent un traitement judiciaire plus efficace (transactions pénales, ordonnance pénale, révision du quantum de certaines infractions).

Entré en vigueur au 1 er juillet 2016, le dispositif répressif donne davantage de liberté et de pouvoirs aux agents de contrôle dans la vérification du respect des normes réglementaires. 

Quelques petites précisions s’imposent.  
 

1) Le champ d’application matériel d’intervention des agents de contrôle renforcé en matière de santé et de sécurité au travail 
 

  • Le non-respect de la règlementation sur l’exposition aux agents chimiques CMR (cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction)

Les agents de contrôle de l’inspection du travail peuvent procéder à une mise en demeure, lorsqu’ils constatent que le travailleur est exposé à un agent chimique CMR, et qu’il se trouve dans une situation dangereuse avérée.

Ainsi, en cas de :

- Dépassement d’une VLEP (valeur limite d’exposition professionnelle) ;

- Défaut ou l’insuffisance de mesures et moyens de prévention en ce qui concerne
    les agents chimiques CMR (article L4721-8 du Code du travail). 

Si à l’issue du délai fixé dans la mise en demeure, la situation dangereuse persiste, l’agent de contrôle de l’inspection du travail peut ordonner l’arrêt temporaire de l’activité concernée (article L4731-2 du Code du travail). 
 

  • Demande de diagnostics et de contrôles techniques

L’agent de contrôle de l’inspection du travail peut désormais demander à l’employeur de faire procéder à l’analyse de toutes matières, y compris substances, mélanges, matériaux, équipements, matériels ou articles susceptibles de comporter ou d’émettre des agents physiques, chimiques ou biologiques dangereux pour les travailleurs (article L4722-1 du Code du travail).

Cette possibilité n’est donc plus limitée à l’analyse de substances et préparations dangereuses. Les moyens de recours à une expertise technique et à des diagnostics pertinents en matière de santé et de sécurité au travail sont donc renforcés afin de déterminer les actions de prévention à mettre en œuvre.
 

  • Demande d’arrêt de travaux en cas de danger grave et imminent

La demande d’arrêt des travaux en cas de danger grave et imminent, limitée au secteur du bâtiment et aux travaux de BTP est désormais étendue à tous les secteurs d’activité (article L4731-1 du Code du travail).

Ainsi, de nouvelles situations de danger ont été identifiées comme :

- L’utilisation d’équipements de travail dépourvus de protecteurs, de dispositifs de protection ou de composants de sécurité appropriés ou sur lesquels ces protecteurs, dispositifs de protection ou composants de sécurité sont inopérants ;

- Le risque résultant de travaux ou d’une activité dans l’environnement des lignes électriques aériennes ou souterraines ;

- L’absence de dispositifs de protection de nature à éviter les risques liés aux travaux de retrait, de confinement ou d’encapsulage d’amiante et de matériaux, d’équipements et de matériels ou d’articles en contenant, y compris dans les cas de démolition, ainsi qu’aux interventions sur des matériaux, des équipements, des matériels ou des articles susceptibles de provoquer l’émission de fibres d’amiante.
 

  • Contestation de la réalité du danger

L’article L 4731-4 du Code du travail précise qu’en cas de contestation par l’employeur de la réalité du danger ou de la façon de le faire cesser, notamment à l’occasion de la mise en œuvre de la procédure d’arrêt des travaux ou de l’activité, celui-ci doit désormais saisir le juge administratif par la voie du référé et non plus le juge judiciaire.

 

  • Procédures d’urgence et mesures concernant les jeunes âgés de moins de 18 ans

- Retrait d’affectation à certains travaux

Il est interdit d’employer des travailleurs de moins de dix-huit ans à certaines catégories de travaux les exposant à des risques pour leur santé, leur sécurité, leur moralité ou excédant leurs forces (article L 4153-8 du Code du travail).

Ainsi, si un agent de contrôle de l’inspection du travail observe qu’un jeune mineur est affecté à un ou plusieurs travaux interdits, il doit être est retiré immédiatement de cette affectation (article L4733-2 du Code du travail).

De même, si un agent de contrôle de l’inspection du travail constate qu’un jeune travailleur âgé de moins de dix-huit ans, affecté à un ou plusieurs travaux règlementés, est placé dans une situation l’exposant à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, il procédera à son retrait immédiat (article L 4733-3 du Code du travail).

Informé par l’employeur, l’agent de contrôle pourra, au terme d’une vérification in situ, ordonner la reprise du travail dès lors que toutes les mesures ont été prises pour faire cesser la situation de danger grave et imminent ayant donné lieu à la décision de retrait. (Article L 4733-5 du Code du travail).

Ce retrait ne doit induire aucun préjudice financier à l’encontre du jeune concerné ni la suspension ou la rupture du contrat de travail ou de la convention de stage (article L 4733-4 du Code du travail).

 

  • Suspension et rupture du contrat de travail ou de la convention de stage

Lorsque l’agent de contrôle de l’inspection du travail constate un risque sérieux d’atteinte à la santé, à la sécurité ou à l’intégrité physique ou morale du jeune dans l’entreprise, il peut proposer au directeur de la DIRRECTE de suspendre le contrat de travail ou la convention de stage (article L 4733-8 du Code du travail).

Cette suspension devra s’accompagner du maintien par l’employeur de la rémunération ou de la gratification due au jeune. Et elle ne peut pas entraîner la rupture du contrat de travail ou de la convention de stage.

Le refus d’autoriser la reprise de l’exécution du contrat de travail ou de la convention de stage entraîne sa rupture à la date de notification du refus aux parties stage (article L 4733-9 du Code du travail).

Dans cette hypothèse, l’employeur devra naturellement verser au jeune les sommes dont il aurait été redevable si le contrat de travail ou la convention de stage était parvenu jusqu’à son terme. Et en cas de recrutement du jeune sous CDI, l’employeur devra lui verser les sommes dont il aurait été redevable si le contrat de travail s’était poursuivi jusqu’au terme de la formation professionnelle suivie.

Cette décision de refus peut s’accompagner de l’interdiction faite à l’employeur de recruter ou d’accueillir de nouveaux jeunes âgés de moins de dix-huit ans, travailleurs ou stagiaires, pour une durée qu’elle détermine (article L 4733-10 du Code du travail).
 

  • Infractions aux règles de la législation du travail

Les infractions aux règles de santé et de sécurité commises par l’employeur ou son représentant prévues à l’article L4741-1 du Code du travail sont plus coercitives. Elles sont désormais punies d’une amende de 10 000 euros au lieu de 3750 euros. De même, la récidive anciennement punie de 9000 euros d’amende est portée à 30 000 euros d’amende. La peine d’emprisonnement est en revanche toujours fixée à un an.

 

2) Le régime de la transaction pénale et de l’amende administrative

 

  • La transaction pénale:

Dans l’hypothèse où aucune poursuite pénale n’a été diligentée par la DIRECCTE, cette dernière peut, suggérer à l’auteur de certaines infractions, la conclusion d’une transaction visant à réduire le montant des amendes si l’auteur de l’infraction accepte de se mettre en conformité avec la législation.

La DIRECCTE accepte donc de renoncer aux poursuites à l’encontre de l’auteur de l’infractions si celui-ci prend des mesures afin d’éviter la poursuite ou la réitération de l’infraction.

La transaction pénale s’applique aux contraventions et délits punis d’une amende et/ou peine d’emprisonnement de moins d’un an.

 

  • Les infractions entrant dans le champ d’application de la transaction pénale

La (DIRECCTE) pourra transiger avec les employeurs (en tant que personnes physiques ou personnes morales), sur la poursuite d'une infraction constituant une contravention ou un délit, relatif au :

- Contrat de travail (en matière de formation du contrat, d'exécution ou de rupture du contrat) ;

- Règlement intérieur et au droit disciplinaire ;

Paiement des salaires, intéressement, participation, épargne salariale et divers avantages ;

- Contrat d'apprentissage ;

- Dispositions relatives à certaines professions et activités (telles que les journalistes, les concierges, les employés de maison, les voyageurs représentants placiers...) ;

- La DIRRECTE pourra également transiger sur toutes les infractions relatives à :

- La durée du travail, au repos et aux congés ;

- L’application des conventions et accords collectifs ;

- La santé et à la sécurité au travail.

En revanche, le législateur a limité la possibilité de recourir à la transaction pénale aux affaires dont la « faible » gravité est insusceptible d’induire des constitutions de parties.

Dès lors le champ d’application exclut toutes les infractions punies d’une peine d’emprisonnement supérieur ou égale à un an, lesquelles sont susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux (infractions relatives aux discriminations, égalité homme femme, harcèlement moral et sexuel, travail illégal …)

 

  • Le mode opératoire de la transaction pénale

 

Seul le directeur de la DIRECCTE peut envisager de recourir et de proposer à l’auteur de l’infraction de la possibilité de recourir à la transaction pénale. Ce n’est donc pas l’agent de contrôle qui dispose de cette prérogative.

Les articles L 8114-4 et R 8114-4 du Code du travail précisent le contenu formel de la transaction, à savoir :

1° La nature des faits reprochés et leur qualification juridique

2° Le montant des peines encourues

3° Le montant de l'amende transactionnelle

4° Les délais impartis pour le paiement et, s'il y a lieu, pour l'exécution des obligations

5° Le cas échéant, la nature et les modalités d'exécution des obligations imposées en vue de faire cesser l'infraction, d'éviter son renouvellement ou de remettre en conformité les situations de travail

6° L'indication que la proposition, une fois acceptée par l'auteur de l'infraction, doit être homologuée par le procureur de la République.

La proposition de transaction doit être envoyée en double exemplaire à l’auteur de l’infraction par tous moyens permettant d’en déterminer la date de réception.  

Le point de départ de cet envoi court à compter de la date de clôture du procès-verbal ayant permis de constater l’infraction.

Le directeur de la DIRRECTE dispose d’un délai de 4 mois pour adresser la proposition lorsqu’il s’agit de contraventions. En revanche, il dispose d’un délai d’une année lorsqu’il s’agit de transiger sur des délits.

L’auteur dispose d’un délai d’un mois pour répondre favorablement ou défavorablement à cette demande de transaction. L’absence de réponse dans le délai imparti vaut refus de la proposition faite par la DIRECCTE.

Si la proposition de transaction est acceptée, il appartiendra au directeur de la DIRECCTE d’obtenir l’homologation par le Procureur de la République.

Une fois l’homologation obtenue par le Parquet, la décision sera notifiée à l’auteur de l’infraction. Dans la foulée, en cas d’homologation, la DIRECCTE devra prévenir et informer le CHSCT, le CE ou à défaut les délégués du personnel, selon la nature des infractions relevées.

Il est impératif de respecter les obligations et les délais d’exécution prévus par la transaction, lesquels courent à compter de la notification de l’homologation.

En effet, l’exécution des obligations permet l’extinction de l’action publique.  

Il est essentiel de rappeler que la transaction pénale ne s’applique pas aux infractions pouvant faire l’objet d’une amende administrative (ex : durée maximale de travail, les temps de repos quotidien et hebdomadaire minima, et le décompte de la durée du travail ainsi que les infractions aux minima conventionnels...).

 

  • Les amendes administratives         

Il est vrai que la DIRECCTE était déjà habilitée à prononcer des amendes administratives, notamment en matière de déclaration de détachement, de la décision de suspension de la prestation de service illégale ou encore de la carte d’identification du BTP.

Depuis l’ordonnance du 7 avril 2016, le directeur de la DIRECCTE peut prononcer des amendes administratives dès lors que des manquements en matière de santé et de sécurité au travail, repos, dignité des travailleurs ont été constatés (article L8115-1 du Code du travail).

Naturellement, le directeur de la DIRECCTE peut solliciter l’auteur de l’infraction afin que ce dernier présente ses observations dans le délai d’un mois, éventuellement prorogé d’un mois.

Si l’employeur ne répond pas, il est fort probable qu’une sanction lui soit notifiée. Cette sanction ne met pas pour autant un terme à d’éventuelles autres poursuites pénales diligentées à l’initiative du Parquet ou d’une partie civile. 

Il ne fait aucun doute que la plus grande indépendance et les prérogatives données aux agents de contrôle de l’inspection du travail devraient permettre de rendre leur intervention plus efficace.

L’immédiateté de leur intervention devrait, incidemment, renforcer les politiques de prévention dans certaines entreprises qui craignent de se retrouver mises en cause en raison de leur méconnaissance des dispositions réglementaires en matière d’hygiène et de sécurité au travail.


Par Jamila EL BERRY, Avocat à la cour et chargée de conférence, spécialisée en prévention des risques professionnels ; Intervenante pour ELEGIA FORMATION

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