L’ingénierie du retour au travail après un trouble d’origine professionnelle ou comment éviter les rechutes

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Le dernier numéro de la revue québécoise Prévention au travail [i] propose un article dont nous pouvons utilement nous inspirer en France sur un sujet qui fait encore trop peu l’objet d’une véritable démarche : l’accompagnement du retour au travail après un trouble pour la santé mentale et/ou physique (type TMS ou RPS). En effet, il est possible pour les préventeurs d’aller au-delà de l’accompagnement médical obligatoire (visite de pré- et de reprise) certes utile mais, comme nous allons le voir, insuffisant.

Imaginez : vous avez quitté l’entreprise pendant de longs mois pour des raisons de santé liées au travail – pour vous remettre d’un trouble musculo-squelettique (TMS) ou encore d’un épuisement professionnel (ou burnout). Médicalement, vous êtes apte à reprendre votre travail, mais psychologiquement… ce retour au travail n’est pas identique à un retour de congés. Il s’apparente davantage à l’appréhension qui accompagne l’embauche dans une nouvelle entreprise, avec en plus la peur de ne plus être à la hauteur, de ne plus savoir ou savoir faire aussi bien qu’avant, d’être « observé » ou, au contraire, ignoré, de ne plus être impliqué dans les projets voire d’être mis à l’écart, de perdre son emploi, ou – les mêmes causes produisant les mêmes effets – de rechuter, de souffrir de nouveau, de se retrouver de nouveau dans une spirale de dégradation de la santé.

Et si l’on faisait de ce retour au travail un moment particulier géré par un acteur spécialisé ?

Très souvent, le retour au travail après une longue absence pour raisons professionnelles (TMS, burnout, etc.) se compose de la seule étape assurée par le médecin du travail. Localement, le retour au travail est géré de façon assez informelle par le responsable hiérarchique et les collègues. Au mieux, une forme de réintégration en douceur est prévue, par exemple en accueillant la personne un mercredi ou jeudi (pour une première semaine plus « courte ») ou en aménageant provisoirement ses horaires ou sa charge de travail. Au pire, le salarié déclaré apte se débrouille seul pour se réintégrer, comme s’il revenait de vacances, et est plongé sans transition dans le bain professionnel bouillant qui l’a rendu malade, avec injonction tacite d’être dors et déjà à son meilleur niveau.

C’est en partie compréhensible : le retour au travail est un sujet délicat. Le hiérarchique et les collègues ne sont pas des psychologues. Ils peuvent ne pas avoir conscience que ce retour au travail peut être vécu avec appréhension par leur collègue. Il se peut aussi qu’il ne sachent pas comment s’y prendre et se sentent désemparées, qu’ils n’osent pas en parler au salarié et qu’ils fassent finalement « comme si de rien n’était », par peur de mal faire. Le risque est grand pour le « revenant » d’être stressé, de ne pas être performant et de rechuter.

Pour éviter ces situations, nous pourrions nous inspirer de ces pays comme l’Australie qui ont créés une véritable « mission de coordination du retour au travail ». Cette mission est assurée par des professionnels formés pour :

  • L’adaptation des pratiques aux besoins et capacités du salarié revenant ;
  • La coordination de l’ensemble des acteurs concernés par le retour au travail : médecin du travail, RH, manager et équipes ;
  • La conception d’un parcours de retour formalisé et organisé dans le temps qui permette à chaque acteur de connaître son rôle, de savoir quoi faire ;
  • L’évaluation du retour au travail par entretien avec les acteurs concernés (et les éventuels réajustements qui s’imposent).

D’après la revue Prévention au travail, ces spécialistes aussi appelés « CoRAT » pour « coordinateurs du retour au travail » estiment devoir avoir certaines qualités : « avoir du tact, offrir une bonne écoute, gagner la confiance des travailleurs, être positifs, empathiques, flexibles et croire en la valeur de chacun » [ii]. Il faut évidemment qu’ils soient formés aux risques psychosociaux et aux troubles musculo-squelettiques et qu’ils connaissent en profondeur les acteurs et dispositifs de prévention.

Vers une ingénierie du retour au travail

Pour continuer à nous inspirer de nos amis québécois, nous pouvons lire avec profit un guide intitulé Soutenir le retour au travail et favoriser le maintien en emploi [iii] et qui propose une démarche en sept étapes de gestion globale et partagée du retour au travail.

L’enjeu est de sortir du bricolage local, majoritairement informel et qui laisse aussi désemparé le manager, les collègues et le salarié revenant pour organiser un parcours type, géré par un coordinateur compétent. Plusieurs messages ressortent de ce guide et méritent d’être mis en évidence :

  • En parler dans l’entreprise, en faire un sujet – par exemple en CHSCT – sur lequel la direction prend position et s’engage ;
  • Sensibiliser les salariés comme les encadrants sur cette problématique, dédramatiser et montrer que le problème n’est pas la personne mais le travail, qui doit être interrogé et, le cas échéant, adapté ;
  • Désigner et former un ou plusieurs coordinateurs référents pour assurer le processus de retour au travail à l’interface des salariés concernés et des autres acteurs – en particulier du hiérarchique qui trouvera ainsi une ressource précieuse pour ses propres interrogations ;
  • Permettre au salarié revenant de s’exprimer librement avant et pendant les premiers temps de son retour pour assurer la confiance et prendre en compte ses inquiétudes dans des plans d’actions concrets.

Un autre enseignement du guide est de questionner le travail et son influence sur la santé. S’il a rendu malade, il peut également aider à consolider la santé : le retour au travail est ainsi une opportunité de questionner les conditions d’exercice du travail et la qualité de vie au travail associée. Il s’agit moins de penser en termes d’aménagements temporaires pour le poste du salarié revenant que de chercher des améliorations pérennes qui ont une portée plus large et, potentiellement, étendue à d’autres collègues.

Evidemment, le but ultime est d’avoir le moins possible de situations de retour au travail – et donc de supprimer et réduire bien en amont les facteurs de risque à l’origine de troubles de santé importants, de maladies professionnelles type TMS ou encore d’épuisement professionnel. La gestion du retour au travail ne peut donc être qu’une maille d’un « filet de sécurité » : la dernière étape d’une démarche de prévention tertiaire qui doit être complétée par une prévention des risques de nature primaire et secondaire. En résumé, il s’agit de renverser le problème et de faire du travail un opérateur de construction de la santé !

 

Stéphan Pezé
Consultant-formateur Santé et Sécurité au travail
Auteur de « Les risques psychosociaux : 30 outils pour les détecter et les prévenir »,
Collection « Lire Agir » aux Editions Vuibert


[i] Voir le site web de la revue : http://www.preventionautravail.com
[ii] Printemps 2017, Volume 30, n°1, pp. 20-21
[iii] http://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/RG-758.pdf

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