Négociation télétravail : les huit points d’achoppement

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Les organisations patronales et syndicales doivent se réunir une dernière fois lundi 23 novembre afin de trouver un compromis sur le télétravail. Mais si quelques avancées ont été saluées, plusieurs sujets de crispation subsistent – par exemple concernant la présomption d'imputabilité des accidents du travail. La perspective de conclure un ANI est encore incertaine.

 

Les partenaires sociaux étaient divisés à l'issue de cette avant-dernière séance de négociation sur le télétravail qui s'est déroulée mardi 17 novembre 2020. Si Hubert Mongon (Medef) a indiqué que la réunion finale du 23 novembre a "des chances réalistes et raisonnables d’aboutir" à un accord national interprofessionnel (ANI), Fabrice Angei (CGT) a estimé qu’il "n’avait pas eu l’impression d’avancer", le projet d’accord proposé par la délégation patronale contenant de "simples rappels et intentions". Entre les deux, Catherine Pinchaut (CFDT) a jugé qu’il y avait eu "des avancées" même si le texte manque de "mordant" et d’"engagements". Béatrice Clicq (FO) compte, elle, sur une "issue positive" en dépit de la difficulté du "match".

 

Une nouvelle version du texte doit être envoyée aux partenaires sociaux d’ici à la fin de semaine. Elle devrait prendre en compte les propositions des uns et des autres. La prochaine rencontre sera donc décisive. Même si les organisations syndicales n’excluent pas une séance supplémentaire. Élisabeth Borne, la ministre du travail, a réitéré dimanche sur radio J, son appel à voir la négociation aboutir.

 

 

1- ANI normatif ou non ?

 

C’est le point le plus délicat. Le Medef a affirmé dès l’ouverture de la négociation son intention d’aboutir à un "ANI ni normatif, ni prescriptif", ayant vocation à "rappeler les grands principes du droit et identifier les nouvelles questions qui se posent". Avec l’objectif de laisser la main aux entreprises pour organiser le télétravail. Il a également rappelé que le document de 15 pages, transmis aux partenaires sociaux, lundi soir, "n’a pas vocation à revenir sur le contenu des ordonnances de 2017" qui ont assoupli le régime juridique du télétravail.

 

À l’inverse, les organisations syndicales veulent un accord qui impose des règles allant au-delà de l’existant. À défaut, "ce n’est pas un ANI mais un diagnostic", souligne Éric Couportin, secrétaire confédéral de la CFTC.

 

2- Éligibilité des postes

 

Parmi les autres points d'achoppement, les organisations syndicales, et en particulier la CFDT, demandent de définir la liste des postes "télétravaillables" par accord d’entreprise, à partir de critères objectifs. Or, pour le Medef, ce sujet relève uniquement de la responsabilité de l’employeur, qui doit "aborder ces questions, en lien avec les missions essentielles de l’entreprise", a insisté Hubert Mongon, le chef de file de la délégation patronale. Il s’agit, à ses yeux, de "son pouvoir de direction".

 

3- Exercice du droit syndical

 

Autre point de crispation : les organisations syndicales revendiquent l’utilisation des outils numériques professionnels pour assurer leurs missions (réunions, échanges), notamment l’accès généralisé aux messageries professionnelles des salariés en télétravail pour transmettre des informations syndicales. Elles estiment, par ailleurs, qu’une ligne rouge a été franchie : le texte patronal propose, en effet, des aménagements en matière de consultation des IRP "pour tenir compte des difficultés posées par la mise en place du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure". Avec à la clef, des "assouplissements" pour l’organisation des négociations (délais d’information, réunions en visioconférence) ; les informations et consultations (délais d’information, réunions en visioconférence) et l’organisation des élections professionnelles (délais, vote par correspondance, négociation du protocole d’accord préélectoral).

 

Or, il est hors de question pour elles d’adapter certaines dispositions du code du travail pour restreindre, au passage, l’exercice du droit syndical. Pour la CFTC, ce texte "laisse la main aux entreprises pour décider d’une réorganisation potentielle du dialogue social alors que l’expérience des confinements 1 et 2 a montré que les outils permettent une continuité du dialogue social".

 

 

4- Priorité à l’accord d’entreprise

 

Si plusieurs organisations syndicales jugent impossible de "détricoter" les ordonnances Macron de septembre 2017, qui instaurent la possibilité de signer un accord de gré à gré entre employeur et salarié sur le télétravail, elles souhaitent donner la priorité à l’accord collectif pour encadrer ce mode de travail plutôt que de recourir à une charte ou au gré à gré. Seule la CGT va plus loin en penchant pour un retrait pur et simple des ordonnances Macron.

 

5- Réversibilité des postes

 

Si le principe de réversibilité, c'est à-dire la possibilité pour le salarié de retourner travailler "dans les locaux de l’entreprise" est bien acté dans le projet d’ANI, Béatrice Clicq (FO), juge la formulation actuelle trop "timide" ; ce retour devant être assuré au même poste de travail.

 

6- Frais professionnels

 

Si l'ANI de 2005 avait réaffirmé l’obligation d’indemnisation par l’employeur, rappelée par la Cour de cassation, les ordonnances de septembre de 2017 n’y font plus référence. Les syndicats, et notamment la CFTC et CFE-CGC, demandent donc le remboursement des frais de télétravail via la création d’un forfait, destiné à compenser l’utilisation de la connexion internet privée du salarié ou de frais de chauffage éventuels. Les syndicats proposent à ce sujet de s’inspirer du barème Urssaf. Pour FO, les frais professionnels doivent faire partie intégrante de la négociation.

 

Pour l’heure, le projet d’ANI indique qu’il "appartient à l’entreprise de prendre en charge les dépenses qui sont engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise sur décision expresse de l’employeur". Il ne détaille pas les dépenses qui doivent être prises en charge.

 

De même, les organisations syndicales souhaitent une contribution aux frais de restauration via des tickets restaurants pour chaque jour de télétravail pour les salariés qui bénéficient d’une subvention au restaurant d’entreprise. Ils demandent également que l’employeur fournisse le matériel et les équipements informatiques nécessaires à la continuation de leur activité à domicile.

 

7- Accidents du travail

 

Ce sujet est aussi un point dur. Selon le projet d’ANI, "il est important d’informer le salarié sur les bonnes pratiques d’organisation du télétravail et en particulier des éventuelles consignes de l’entreprise relatives à l’utilisation des écrans de visualisation. Le salarié en télétravail est tenu de respecter et d’appliquer correctement ces règles de prévention et de sécurité".

 

Or, pour Fabrice Angei (CGT), le projet d’ANI tente de dédouaner l’employeur en matière de sécurité et de santé au travail, notamment en remettant en cause la "présomption d’imputabilité" à l’employeur qui s’applique aujourd'hui aussi en cas d'accident au domicile. "L’employeur ne peut s’assurer des bonnes conditions d’exercice du telétravail. Il n’a aucun moyen de vérifier que celles-ci sont bien respectées à son domicile, détaille Fabrice Angei. C’est pourquoi il tente de renverser la charge de la preuve, en faisant peser le poids de la responsabilité sur le salarié".

 

 

8- Circonstances exceptionnelles

 

Là encore plusieurs points de crispation. Le dernier chapitre du projet d’accord (chapitre 7) se focalise sur le télétravail exercé en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure (pandémie, catastrophes naturelles, destruction accidentelle des locaux de l’entreprise). Le recours au télétravail est dans ce cas jugé "indispensable" pour des "salariés qui ne connaissent pas ces modalités d’organisation de travail en période normale". Dans ce cas, l’employeur peut "décider unilatéralement" du télétravail et le "double volontariat ne s’applique pas". Mais cette version ne passe pas auprès des syndicats. Pour FO, il est "important" que la décision de basculer en télétravail dans ces situations (hormis en cas de destruction des locaux) relève "de la décision des pouvoirs publics" et non de l’entreprise.

 

 

Anne Bariet

Journaliste spécialisée

Actuel-RH

Éditions Législatives

 

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