Obligation de sécurité : les juges vont-ils vérifier si le travail a été adapté à l'homme ?

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En novembre 2015, la Cour de cassation infléchissait sa position quant à l'obligation de sécurité de résultat incombant à l'employeur : avec l'arrêt "Air France", les hauts magistrats ont décidé de se situer "dans une logique de prévention", explique le doyen de la chambre sociale, Jean-Guy Huglo. Cet arrêt, qui insiste sur l'importance de mettre en place les principes de prévention des articles L. 4121-1 et L. 4121-2, ouvre de nouvelles possibilités dont pourraient bien se saisir les juges.

"La jurisprudence Air France sera ce que l'on veut en faire, tant du côté des inspecteurs du travail que des juges", déclare Jean-Guy Huglo, doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation. Pour ce, il appelle à lire et relire les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier énonçant qu'il incombe à l'employeur de prendre "les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs" et le second listant les 9 principes généraux de prévention.

Jean-Guy Huglo s'exprimait devant une assemblée de juristes spécialistes du droit du travail et acteurs de la santé au travail, lors d'une journée organisée le 23 novembre 2018 à Paris par l'AFDT (association française de droit du travail), avec l'ENM (école nationale de la magistrature) et l'INTEFP (institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle).

Pour le haut magistrat, cet arrêt dit "Air France" du 25 novembre 2015 – "né d'un débat nourri et profond au sein de la chambre" – est "de ceux dont on se souvient jusqu'à la fin de sa vie professionnelle". Il a marqué un tournant majeur dans la jurisprudence de l'obligation de sécurité de résultat qui incombe à l'employeur. "Nous sommes passés d'une logique de réparation à une logique de prévention", explique Jean-Guy Huglo.

L'arrêt

Le 11 septembre 2001, depuis sa chambre d'hôtel, un steward d'Air France voit s'effondrer les Twin towers. Au retour en France, il indique qu'il n'a pas besoin de la cellule de soutien psychologique mise en place par son employeur et pendant de longs mois, tout semble bien aller pour ce salarié. Jusqu'au jour où, alors qu'il part travailler, il se retrouve dans l'incapacité absolue de monter dans l'avion et développe un syndrome anxio-dépressif majeur.

Le steward estime que son employeur n'a pas fait le nécessaire et invoque son obligation de sécurité. Débouté en appel, il saisit la Cour de cassation. Qui rend donc le 25 novembre ce fameux "arrêt Air France".

"Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale et physique des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par l'article L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail", écrivent les hauts magistrats.

Carotte

Infléchissant, pour la première fois, l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur vers une obligation de moyens renforcée, la Cour de cassation met en lumière l'importance de respecter les principes généraux de prévention.

Jean-Guy Huglo décrit "une sorte de carotte que l'on agite devant le nez de l'employeur pour l'inciter à prendre un certain nombre de mesures de prévention""Si ces mesures sont prises de manière suffisante – c'est au juge de l'apprécier –, il y a une possibilité pour l'employeur d'échapper à sa responsabilité. Mais il faut pour cela aller regarder  les articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail."

Adapter le travail à l'homme

Le doyen de la chambre sociale insiste sur le 4e principe de prévention de l'article L. 4121-2 : "Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production […]".

Historiquement, après la logique de pure réparation née de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, puis la prévention secondaire qui se développe au sortir de la Seconde Guerre mondiale et consiste à surveiller les risques et les conséquences des expositions professionnelles, Jean-Guy Huglo défend le fait que nous sommes aujourd'hui dans une troisième phase, celle de la prévention primaire. "C'est-à-dire que dans la définition même des postes de travail et des processus de production de l'entreprise, il faut prendre en compte les questions de santé au travail."

Au juge de vérifier les mesures de prévention

Dans ce contexte où l'employeur dont l’obligation de sécurité est mise en cause peut se dégager de sa responsabilité en répondant qu'il a pris toutes les mesures découlant des deux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le juge pourrait avoir un rôle nouveau. À lui, désormais, d'apprécier la valeur des mesures de prévention mise en œuvre.

"Est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer un cadre où le juge viendra contrôler si, dans la définition même du poste, dans la définition même du processus de production, insiste le haut magistrat de la chambre sociale, il n'y avait pas une autre solution qui aurait eu des répercussions beaucoup moins négatives sur la santé du salarié ?"

Jean-Guy Huglo répond à sa question : "On ne l'a pas encore dit, mais cette potentialité se trouve dans la jurisprudence Air France".

 

Élodie Touret

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