Le préjudice d'anxiété étendu à toute substance toxique autre que l'amiante

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La Cour de cassation a reconnu, dans l'affaire des mineurs de Forbach, que le préjudice d'anxiété vaut pour des produits toxiques autres que l'amiante.

C'est une première. Dans un arrêt du 11 septembre 2019, la Cour de cassation reconnaît que le préjudice d'anxiété vaut pour tous produits toxiques. Jusqu'à présent, ce préjudice, qui concerne des personnes qui ne sont pas malades mais s'inquiètent de leur devenir, n'était reconnu que pour l'amiante.

La voie a été ouverte en avril dernier lors d'un revirement de jurisprudence annonciateur. Avant cette date, le préjudice d'anxiété n'était reconnu qu'à des salariés d'entreprises inscrites, par arrêté, sur la liste ouvrant à l'Acaata (allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante), le dispositif de "préretraite amiante". Finalement, la Cour de cassation reconnaissait alors que le droit commun de la responsabilité civile peut aussi s'appliquer et que dans ce cas, les juges du fond doivent prendre en compte des éléments supplémentaires.

Nocive ou toxique

L'affaire concerne cette fois 700 anciens mineurs lorrains exposés à l'amiante et d'autres substances toxiques. Dans sa décision du 11 septembre, la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Metz qui n'a pas suffisamment établi que leur employeur (Houillères du bassin de Lorraine, devenue Charbonnages de France) a respecté son obligation de sécurité. Et elle en profite, et c'est là qu'est la nouveauté, pour écrire qu'"en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité".

L’AVA (association des victimes de l’amiante et autres polluants) s'est félicitée de la décision, "qui met sur un pied d'égalité tous les salariés exposés à des produits toxiques", dans un communiqué du 11 septembre. L'association met cependant en garde : "la traduction concrète de ces possibilités n’est pas évidente car l’octroi du préjudice d’anxiété est soumis à un régime de preuve extrêmement strict. […] Rapporter ces preuves ne sera pas simple, notamment dans les petites et moyennes entreprises".

Le salarié doit prouver, en plus du non-respect de l'obligation de sécurité de l'employeur, que la substance génère "un risque élevé de développer une pathologie grave". Une formulation large laissée à l'appréciation des juges.  "Qu’est-ce en effet qu’un risque élevé ? Un pour cent ? Un pour mille ? Un pour dix-mille ? La Cour de cassation ne le dit pas et ne le dira pas. Chaque magistrat aura son idée personnelle de ce qu’est un risque élevé", présage l'AVA. En France, 10 % des salariés sont exposés à au moins un produit cancérogène, ce qui représente environ 1,8 million de personnes.

Buses bouchées

Le cœur de l'arrêt ne porte pas sur l'extension du préjudice à d'autres substances mais sur les mesures de protection prises par l'employeur. Les témoignages des mineurs et d'un intervenant sur le site font froid dans le dos. Pêle-mêle : "la plupart des mineurs ne portait pas de masques à poussières, certains d'entre nous achetaient des masques en mousse en pharmacie", "Les buses étaient souvent bouchées voire hors service", "la poussière était tellement dense qu'on n'y voyait pas à 2 mètres"... Mais la cour d'appel de Metz a considéré que ces attestations et témoignages faisaient état de constats "qui ne pouvaient être reliés directement à la situation concrète de chaque salarié demandeur en fonction des différents postes successivement occupés par eux".

À l'inverse, elle a retenu qu'il était démontré que l'employeur avait pris toutes les mesures de protection nécessaires. Entre autres éléments : "les masques à poussière étaient à la portée de chaque agent avant la descente en quantité suffisante", "des contrôles de poussière étaient organisés par des appareils individuels portés par des agents durant tout le poste aux conditions réelles de travail", l'employeur donnait suite aux observations des délégués du personnel concernant la sécurité, que beaucoup de remarques des médecins du travail étaient prises en compte... Pour la Cour de Cassation, qui ne se prononce pas sur le fond, cette démonstration n'est pas suffisante.

 

Pauline Chambost

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