Les ordonnances Macron, quatre ans après

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AvoSial[1] publie des chroniques pour actuEL-RH. Ce mois-ci, Elise Bénéat, avocate counsel au sein du cabinet De Pardieu Brocas Maffei, revient sur le bilan des ordonnances Macron réalisé par le comité d'évaluation des ordonnances sur le comité social et économique et le barème d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Quatre ans après leur entrée en vigueur, les ordonnances Macron ont-elles révolutionné les relations sociales ?

Pas si évident que cela, répond le comité d’experts chargé de leur évaluation. Le gouvernement avait pourtant annoncé un "projet de transformation sociale d’une ampleur inégalée" lors de sa conférence de presse du 31 août 2017 présentant les futures ordonnances du 22 septembre.

Même si les effets des ordonnances restent encore largement à analyser, d’autant plus dans un contexte fortement perturbé par la crise sanitaire, des tendances se dessinent d’ores et déjà notamment s’agissant de deux axes emblématiques : le CSE et le barème d’indemnisation prud’homale.

Le développement du CSE

La première tendance que l’on observe est celle d’une mise en œuvre effective au sein des entreprises du comité social et économique.

Cette fusion des instances portée par le CSE peut être regardée comme une réussite au regard des objectifs de rationalisation et de simplification portés par la réforme.

Ce succès est lié au caractère contraignant de la mise en place du CSE, à la différence des réformes précédentes qui en avait laissé le choix aux partenaires sociaux, ainsi qu’à des règles de fonctionnement, à la fois plus simples et très proches de celles des anciennes instances qu’il remplace permettant une appropriation rapide de cette nouvelle instance par les acteurs.

Autre tendance qui peut être soulignée en miroir : le peu d’enthousiasme suscité par la mise en place de représentants de proximité ou du conseil d’entreprise.

Ceci s’explique par le fait qu’il s’agit d’instances facultatives et que leurs règles de fonctionnement sont laissées en quasi-totalité à la main des partenaires sociaux, qui se montrent globalement assez frileux pour innover en la matière.

Par ailleurs, l’objectif de rationalisation a conduit les entreprises à privilégier la mise en place d’un seul CSE délaissant souvent l’implantation locale.

Cette centralisation concomitante des implantations et des rôles (cumul des prérogatives des délégués du personnel, comité d’entreprise et CHSCT) qui, certes devrait permettre aux CSE d’avoir une approche transversale des sujets, présente un risque non négligeable d’éloignement du terrain de nature à conduire les salariés à ne plus considérer leurs représentants comme un relai efficace de leurs préoccupations auprès de la direction.

Une telle situation est de nature à fragiliser le positionnement des représentants et à réduire le nombre de candidats lors des prochaines élections.

Nous verrons si ces craintes se confirment, une grande partie des entreprises devant engager le processus électoral pour renouveler les mandats du CSE à la fin de cette année.

Cette centralisation induit également une augmentation de la charge de travail liée au mandat et un manque de maitrise de l’ensemble des sujets désormais traités au sein de l’instance unique CSE.

L’introduction dans le dialogue social et le champ de compétences du CSE des questions environnementales depuis la loi Climat conforte l’analyse.

Cette nécessité est également prégnante pour les représentants de l’employeur notamment dans les petites et moyennes entreprises.

En réponse à ses difficultés, le ministère du travail a en début d’année a annoncé la constitution d’un groupe de travail afin de construire un plan d’accompagnement des élus et des employeurs.

Cependant, ce plan n’a pas encore débouché sur des mesures concrètes, espérons que ce sera le cas avant la fin de l’année et le renouvellement d’un bon nombre de mandats …

Le barème d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse

Autre mesure phare des ordonnances : le plafonnement de l’indemnisation des licenciements sans cause réelle et ni sérieuse par le fameux "barème Macron".

L’instauration d’un barème composé d’un plancher et d’un plafond obligatoires, fonction de l’ancienneté là où auparavant n’existait qu’un plancher obligatoire à partir de deux ans d’ancienneté, a incontestablement fourni aux employeurs un outil de prévisibilité du coût d’une rupture du contrat de travail.

Rappelons tout de même qu’il n’est pas applicable dès lors qu’une violation des libertés fondamentales (telle que l’existence de faits de harcèlement moral par exemple) est en jeu. Cette dérogation a conduit d’ailleurs les salariés à invoquer de plus en plus souvent ce type de violation pour échapper au barème et son plafonnement.

Le barème Macron a également contribué à réduire les écarts d’indemnisation selon la localisation géographique du contentieux que l’on pouvait constater auparavant à situation comparable.

Ce barème appliqué par la très grande majorité des juridictions concernées a fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreuses polémiques dans la mesure où il est considéré, par ses détracteurs, comme contraire aux règles internationales et notamment à celle devant permettre aux juges de fixer souverainement une indemnisation adéquate.

La polémique est née de l’impact du barème pour les salariés ayant peu d’ancienneté mais l’analyse n’est pas nécessairement aussi simple.

En effet, les salariés ayant une ancienneté comprise entre 2 et 4 ans se voient désormais attribuer une indemnisation maximale de 3,5 à 5 mois de salaire, là où auparavant ils obtenaient automatiquement une indemnité minimale de 6 mois.

La plupart des opposants au barème considère que cette situation ne permet pas aux juges d’octroyer, pour une faible ancienneté, une indemnisation adéquate, c’est-à-dire suffisante, par référence au plancher antérieur de 6 mois.

Mais la question qui n’est jamais posée est celle de savoir si octroyer automatiquement un minimum de 6 mois de salaire pour 2 ans d’ancienneté, soit un quart de la durée de l’emploi, dans les entreprises employant au moins 11 salariés, était ou non une indemnisation adéquate, c’est-à-dire proportionnée au préjudice lié à la perte injustifiée d’emploi.

Toutefois, il est clair que cette diminution de l’espérance de gain des salariés ayant peu d’ancienneté en cas de contentieux a nécessairement conduit nombre d’entre eux à renoncer à contester leur licenciement en justice.

Les salariés disposant d’une ancienneté "moyenne" de l’ordre de 5 à 15 ans sont peu impactés dans la mesure où le barème correspond globalement aux pratiques prud’homales antérieures.

En revanche, les salariés totalisant une ancienneté importante pouvaient espérer obtenir une indemnisation supérieure avant la mise en œuvre du barème. En effet, généralement la fourchette haute de condamnation était évaluée, à partir de 15 ans d’ancienneté, à un mois de salaire par année d’ancienneté (par exemple 20 mois pour 20 ans d’ancienneté) avec une limite à 24 mois.

Or, le barème Macron prévoit une indemnité maximale inférieure (par exemple 15,5 mois pour 20 ans d’ancienneté) avec une limite à 20 mois.

D’après le comité d’évaluation des ordonnances, ce resserrement de l’indemnisation induit par les ordonnances est de l’ordre de 1,3 mois.

Pour autant, ce resserrement est-il de nature à faire obstacle à la possibilité pour les juges d’octroyer une indemnisation adéquate ?

Un arrêt très attendu de la Cour de cassation dont l’audience s’est tenue le 31 mars dernier devrait mettre un terme à cette polémique le 11 mai prochain, date du délibéré volontairement fixé après le résultat de l'élection présidentielle …

 

Elise Bénéat

 

[1] AvoSial est une association d'avocats en droit du travail et de la sécurité sociale qui conseillent et représentent les employeurs en justice.

 

 

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